samedi 25 octobre 2008

Entretien d'actualité n°14

F.H. Freda avec J.-A. Miller

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

14

publié 74, rue d’Assas à Paris 6ème par JAM

le vendredi 24 octobre 2008 (2)

J’ai reçu les envois suivants :

  • une lettre de Iordan Gurgel, président de l’EBP, l’École brésilienne (voir en fin de numéro) ;
  • des contributions de Philippe De Georges et Joëlle Joffe, qui seront publiées dans les " Entretiens " ;
  • des textes en langue espagnole, dont j’espère qu’ils pourront être traduits en français ; leurs auteurs sont : Patricia Tagle Barton, de Lima (NEL) ; Juan Carlos Tazedjián, de Valencia (ELP) ; Ursula Seibert, de Buenos Aires (EOL) ;
  • une lettre de P.G. Guéguen et A.M. Lemercier, m’invitant à une Conversation au CPCT de Rennes, et une autre d’Elvira Guilania, m’invitant à Barcelone pour une Conversation des CPCT espagnols : je répondrai.

La publication de ces " Entretiens " est suspendue en raison des vacances de la Toussaint ; je prévois de la reprendre le jeudi 13 novembre ; on peut entre-temps m’adresser des textes à l’adresse jam@lacanian.net ; je recommande de me les adresser en " document attaché ".

Du CPCT à l’École

J.-A. Miller : Que vous inspire ce débat ? qu’en retenez-vous ? qu’est-ce que vous en écartez ? quelles sont vos réactions, vos objections, vos réponses ? Quel est le regard que vous portez à la fois sur ces contributions et sur le CPCT ? Y a-t-il certains éléments qui vous paraissent dignes d’être pris en considération ?

F. H. Freda : C’est vrai que ce débat a commencé à partir de la Conférence institutionnelle, qui n’était pourtant pas dédiée à un travail sur le CPCT.

Mais il se trouve que la grande majorité des contributions, pour répondre à la question "Notre École, notre psychanalyste", parlaient des CPCT.

C’est indéniable. Cela pose déjà une question : pourquoi quelqu’un que l’on interroge sur A répond sur B ? Personne n’avait demandé de parler des CPCT. Mais, apparemment, pour les gens qui ont répondu, il y a un lien étroit. Ils répondent à l’École à partir du CPCT. C’est déjà un point d’interrogation autant pour la discussion sur le CPCT que pour l’École. Le CPCT vient-il suppléer l’École ? Surtout pas ! C’est une mauvaise interprétation. Le CPCT, c’est une École ? Surtout pas ! Il n’est pas une École analytique. Il n’a pas pour fonction de former des psychanalystes. Il contribue à la formation des analystes. Il a contribué aussi à la mienne, mais on ne peut pas dire que c’est là que s’est fait ma formation. Je ne sais pas quels problèmes il y a dans l’École – non pas dans le CPCT – par rapport à ces réponses massives. Peut-être le problème est-il celui d’une certaine opacité de l’École vis-à-vis des collègues.

Selon vous, il y aurait une transparence du CPCT et une opacité de l’École.

C’est une hypothèse. Je ne l’affirme pas. Il y a un problème de l’École qu’il faut traiter. Ce n’est pas d’aujourd’hui, ce n’est pas depuis la création du CPCT. C’est bien avant.

Quel problème ?

Il faut le dénicher. Moi, j’ai une petite idée : le problème de l’École, c’est qu’il faut lire Jacques-Alain Miller. Lire ! Vous connaissez beaucoup mieux que moi la formule de Lacan : "On me cite, on ne me lit pas."

Je n’ai jamais dit ça de moi.

C’est moi qui le dis. C’est pour cela d’ailleurs qu’il y a pour la première fois dans l’École un séminaire où il s’agit de lire Jacques-Alain Miller.

Que retenez-vous des critiques qui ont pu être faites depuis dix jours ?

La critique qui vient de façon constante, c’est que le financement produit des problèmes. Premier point : il était nécessaire de le faire, et tout le monde était au courant, tout le monde connaissait les rapports financiers du CPCT, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui. Donc aucune nouveauté. personne ne dit : "Je ne savais pas." Ces rapports ont été régulièrement présentés au Conseil d’administration du CPCT, et aussi au Conseil de l’École jusqu’à récemment.

Les comptes de trésorerie de l’École sont présentés à tous les membres de l’École, ce qui n’est pas le cas pour le CPCT.

J’ai demandé à ce que cela soit envoyé à tous les membres de l’École. D’autres ont dit que non.

C’était votre premier point. Quel est le deuxième ?

Le financement, c’était le produit d’une présentation de notre travail auprès des autorités, et pas des moindres. Arrivé jusqu’au secrétaire de M. (…), qui s’occupait de la santé, qui lui-même a présenté le CPCT comme une expérience unique en France pour le traitement des précaires. Ce dossier d’ailleurs traîne encore, et j’espère qu’il verra le jour. Notre demande de financement était aussi une arme pour faire connaître le CPCT auprès du monde qui voulait à tout prix que l’on reste dans notre cabinet. Le financement permettait aussi de payer les impôts, la secrétaire, etc. C’était donc une façon de présenter notre travail, notre travail clinique. En quoi pouvait-il intéresser les financeurs ? Quand on me demandait des rapports, ils se fichaient bien de savoir ce que j’allais faire de l’argent, puisque c’était transparent, mais ils voulaient savoir comment on travaillait. On m’a même envoyé des feuilles d’évaluation, que j’ai remplies sans difficulté, et, en même temps, on nous demandait des cas cliniques. Évidemment, nous avons pris toutes les précautions d’usage. Mais ils savaient que le système d’évaluation mis en place était marqué de défaillances énormes.

Le système officiel ?

Oui. J’ai su qu’un ministère avait envoyés à des collègues une demande d’étude psychanalytique sur le passage à l’acte. Le CPCT, à partir de son savoir-faire, avec ce qu’il produit comme connaissance, est sollicité de plus en plus.

Certaines critiques portent sur ce "de plus en plus".

Voyons le "plus en plus". On dit qu’il y a trop de monde dans le CPCT-Chabrol. Quand j’ai quitté le CPCT, il y avait 60 personnes. Aujourd’hui, elles sont 90.

20 au début.

Non. Dès la première année, pratiquement 50.

Selon Daniela Fernandez, entre avril et novembre 2003, il y avait une vingtaine de personnes. Ensuite, avec l’arrivée de la première promotion de l’Atelier, il y a eu 10 à 15 personnes en plus. Puis, on est passé à 60 quand vous êtes parti. Aujourd’hui, nous en sommes à 90. Or, vous êtes parti en…

En avril de l’année 2007.

En un an et demi, une croissance de 50 %.

Il y a là toute une série de choses à regarder de plus près. Prenons le premier planning que j’avais établi. Il y avait une vingtaine de personnes, et chacune de ces personnes travaillait à peu près une heure et demie, deux heures par semaine.

Daniela Fernandez dit travailler cinq à six heures par semaine.

Elle est une des grands du CPCT. J’avais demandé à chacun deux heures de travail, plus une heure de réunion obligatoire par mois. S’il y a 20 personnes, ça fait 40 heures par semaine, donc un temps plein, le plein temps d’un service hospitalier. Avec 40 heures, l’institution fonctionne a minima.

90, c’est peut-être beaucoup par rapport au nombre parisien des membres de l’École, beaucoup aussi pour ce qui est de la jeunesse qui se forme à la psychanalyse.

C’est fort possible. Ça pose le problème d’un équilibre à trouver. L’idée initiale était un CPCT stable.

Je voulais un petit CPCT, de 10, 15, 20 personnes, et une recherche de subventions permettant de payer le loyer, la femme de ménage, un secrétariat, et une fois cela obtenu, on ne cherche pas davantage de subventions. Mon idée était celle d’un CPCT expérimental. J’ai vu, au premier message que vous avez envoyé, que votre conception était très sensiblement différente, et que vous lanciez un large appel. J’ai laissé faire. Les critiques formulés depuis dix jours vous amènent-elles à reconsidérer certains points de la méthode que vous avez mise en œuvre ? Ou souhaitez-vous y réfléchir, et que l’on reprenne plus tard ?

Je préfère répondre maintenant. Je connais le proverbe : "La première idée est la bonne, il faut s’en méfier". Il faudra modifier des choses, mais lesquelles ? Est-ce le nombre de personnes au CPCT ? D’un autre côté, elles tirent un grand profit de cette expérience.

En êtes-vous sûr ?

Je peux vous dire que j’ai vu évoluer beaucoup de collègues. Et je peux dire que oui, il tirent un profit très grand.

Dans la méconnaissance où j’étais de la réalité effective des choses, je croyais que les étudiants stagiaires au CPCT ne faisaient que donner des heures bénévolement pour recevoir des patients. J’ai été stupéfait d’apprendre que ce n’était qu’une partie de ce qui leur était demandé, qu’ils avaient une multitude d’autres tâches, des tâches de démarcheur et d’archiviste.

Je peux vous répondre, parce que j’ai fait ceci : avec 3, 4, de ces jeunes, j’essayais de trouver des subventions. Il me semblait ainsi les mettre un peu dans le bain, leur faire savoir ce que cela veut dire, présenter la psychanalyse aux autorités Ce n’est pas eux qui la présentait, c’était moi, mais ils étaient à mes côtés. J’avais dans l’idée de faire un travail pour eux, qui leur donnait une idée de ce que peut être un psychanalyste au XXIème siècle, qui aura affaire à ça, d’une façon ou d’une autre. Pour l’organisation des Journées de formation…

Là aussi, j’ai été surpris d’apprendre l’existence de telles Journées.

Des comités scientifiques géraient ces Journées.

Cela ne faisait pas partie des missions initiales du CPCT.

Mais c’était une façon de pouvoir financer le CPCT.

N’êtes-vous pas troublé par le fait que financer le CPCT soit devenu une finalité essentielle du CPCT ?

Ce n’est pas la finalité essentielle du CPCT. C’est nécessaire pour la survie du CPCT. Quand vous voyez le budget d’aujourd’hui, de l’ordre de 180 000 euros par an – chiffre à vérifier auprès de Grasser - n’importe quelle structure coûte ça a minima par an, en sachant qu’il faudra modifier le local.

On m’a dit qu’il y avait un deuxième local, et même un troisième local.

On pouvait accueillir des jeunes à condition d’avoir un local indépendant, parce qu’il y a, par rapport aux subventions, des exigences à ce niveau-là.

Ne percevez-vous pas qu’on est totalement hors de l’épure de départ ?

Il y a eu un développement, peut-être éloigné de l’idée de départ.

Cela donne le sentiment qu’on est désormais à l’époque de : "le CPCT pour le CPCT", comme on dit "l’art pour l’art".

Non, je ne le pense pas. C’est le CPCT pour la psychanalyse dans la cité.

La cité, ça n’existe pas. Le CPCT a séduit les autorités, et pour les séduire, il a dû se plier à leurs exigences et à leurs normes.

Aucune exigence n’a été posée pendant mon mandat.

Alors, pourquoi cela a-t-il grandi comme ça ?

J’ai pensé que le CPCT devait s’agrandir. C’était un lieu propice aux analystes de l’École, pour une expérience clinique nouvelle. Et il y avait toute une série de problématiques dans laquelle le psychanalyste de notre École était absent, et où il pouvait donner un point de vue. Je ne vois pas pourquoi M. Ruffo peut parler de l’adolescent, de l’autisme, etc, et le psychanalyste de l’École, lui, ne le peut pas.

Vous envisagez aussi une action médiatique ?

Quand j’ai présenté un programme du CPCT aux autorités, je tenais à ce que notre travail soit connu.

Faire connaître que nous sommes efficaces…

Il ne faut pas oublier qu’il y a les comportementalistes, qui promeuvent leur mode de traitement au détriment de tout ce que nous faisions.

Une phrase de Nietzsche dit : "Et nous sommes devenus ce que nous combattions."

Peut-on appliquer cette formule aujourd’hui ? Non, parce que nous avons montré que nous pouvions faire autrement.

Pensez-vous vraiment que l’on puisse prendre comme repère de l’acte psychanalytique un traitement en seize séances de sujets dont la majorité est psychotique ? Vous pensez que ceci peut constituer un repère essentiel ?

Non.

Que se passe-t-il si l’énergie, la libido du Champ freudien, de ses étudiants, de sa jeunesse, de ses AE, de ses ex-AE, des membres de l’École, si tout ça est aspiré par la croissance des CPCT ?

Si c’est entendu comme ça, c’est très mauvais. Je ne pense pas que ça se passe tout à fait comme ça.

Moi, je pense que ça se passe comme ça. Nous approchons du point de bascule. Là, nous différons.

Je ne pense pas que l’École dans son ensemble, le Champ freudien dans son ensemble,…

Première indication : qui a été élu président de l’École ? le directeur du CPCT. Seconde indication : cela fait un quart de siècle que je m’oppose avec d’autres à ce que l’École, comme les Sections cliniques, demande des subventions ; or, nous sommes passés à deux doigts du fait que l’École se lance à son tour dans la recherche de subventions pour financer ses " groupes de recherche ", lesquels ont été créés par vous l’an dernier. Est-ce exact ?

Non. Les groupes de recherche existaient auparavant. Je ne savais qu’il avait été demandé des subventions pour les groupes de recherche.

On ne l’a pas fait, mais on allait le faire.

Je n’étais pas au courant. Je n’ai jamais donné mon accord pour qu’on aille chercher des subventions. Ou alors, j’ai oublié complètement.

Ça arrive, qu’on oublie. Ça m’est arrivé à propos de Bahia.

Si c’était le cas, je penserais qu’il y aurait eu là une dérive.

Troisième élément : quand le Bureau de l’École ouvre sur Internet un espace de débat sur le thème "Notre École, notre psychanalyste", la quasi-totalité des textes ne parlent que des CPCT. La clef que je propose explique ce fait. Ça ne vous fait pas réfléchir ?

Vous me dites : le président de l’École est l’ancien directeur du CPCT. À ce titre-là, je pourrais dire que le directeur des dernières Journées était aussi le directeur d’un CPCT.

Tout le monde dans l’École est en train de devenir directeur de CPCT ! Directeur, ou secrétaire, ou employé d’un CPCT. On ne peut plus se tourner dans l’École sans tomber sur du CPCT. En ouvrant les placards, on trouve toujours la même assiette : CPCT.

Je peux vous dire aussi que tout le monde est dans les Sections cliniques, tout le monde.

Ah, mais les Sections cliniques n’ont jamais cherché de subventions, et jamais personne ne s’est identifié aux Sections cliniques. Or, j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire en privé, il y a une identification extrêmement forte au CPCT.

Et comment l’expliquez-vous ?

Ce n’est pas dirigé de la même façon.

C’est-à-dire ?

On n’utilise pas l’arme de l’identification. On s’en prive, parce que l’on est dans le discours analytique. Depuis vingt ou trente ans qu’elles existent, les Sections cliniques pourraient avoir des subventions, on aurait même pu en faire une " Université " depuis longtemps. La force des Sections cliniques, et leur résistance à travers le temps, tient à tout ce qu’elles pourraient faire et ne le font pas. De la même façon, que, quand on est analyste, on n’utilise pas tous les moyens dont on pourrait user : la suggestion, l’identification. La force du discours analytique procède de tout ce que l’analyste ne fait pas. L’essentiel de la " formation " de l’analyste, comme on dit, consiste à apprendre à ne pas se servir de la force que lui donne la situation de langage instituée par la demande du sujet qui souffre.

Je crois comprendre les raisons que vous m’avez exposées, mais je voudrais aussi que vous preniez en compte, en les modulant, les critiques qui ont pu être formulées.

Cela fait une heure un quart que nous discutons, on peut arrêter, si vous en êtes d’accord, et reprendre dans quelques jours.

Je suis d’accord pour reprendre la discussion sur le point précis de votre interprétation.

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Propos recueillis le 22 octobre 2008

DOCUMENT : Hermès, le triomphe de l’anti bling bling

Par le plus grand des hasards, je tombe ce matin sur le passage suivant, extrait de la revue "Capital", n° 205, octobre 2008, p. 38. Il s’agit de la fameuse maison du Faubourg St. Honoré à Paris, et de sa singulière philosophie commerciale. – JAM

Depuis 2003, les ventes progressent au rythme annuel d’une centaine de millions d’euros, pour atteindre 1,6 milliard l’an dernier. Dans le même temps, les bénéfices sont passés de 220 à 293 millions d’euros et la rentabilité opérationnelle (l’Ebitda) atteint aujourd’hui 27 %. Certes, dans ce Business, on peut faire mieux : Gucci et ses mules dorées à gros écusson (340 euros) a quasiment doublé son chiffre d’affaire en cinq ans ; Louis Vuitton et son sac spécial camouflage (1 030 euros) présente une rentabilité de 43 %. " Mais, à force de vendre tout et n’importe quoi, certaines marques risquent de "s’autodétruire" ", estime la journaliste américaine Dana Thomas, auteur de "Luxe & Co", une enquête fouillée sur les pratiques du secteur. " C’est la dernière maison qui résiste à la tentation de l’argent facile ", ajoute-t-elle. Confirmation de David Da Maïa, analyste financier chez Aurel Leven : " Hermès pourrait facilement dégager 30 % de croissance sur cinq ans. Mais le groupe préfère gagner 10 % pendant cent ans, plutôt que de galvauder son image. " (Publicité gratuite)

UNE LETTRE DE IORDAN GURGEL

Cher Jacques-Alain Miller,

Le Conseil de l’EBP, lors de sa réunion le 18/10/08, a pu bien débattre au sujet de l’action politique concernant une réorientation des CPCT au Brésil, à partir des entretiens d’actualité diffusés par vous et des échos de vos interventions aux Journées de l’ECF (par l’entremise d’Angelina Harari).

À part la réflexion critique, ces échos ont produit un enthousiasme vis-à-vis de ce que nous considérons comme un point saillant de vos propos: le rapport au Sujet Supposé Savoir.

La réponse d’Éric Laurent à Bernardino Horne, concernant les deux niveaux de connaissance, a aussi introduit un débat intéressant au sujet du Colloque de l’EBP à Salvador de Bahia, ses conséquences politiques et ses effets dans la communauté.

Dans son prochain communiqué, qui doit sortir sous peu, le Conseil de l’EBP recommande vivement la prudence en ce qui concerne les nouvelles initiatives CPCT au Brésil.

Nous aimerions aussi faire connaître un document diffusé par Um por Um (01/08/08), intitulé "A política do Conselho", où le Conseil de l'EBP, par rapport à "l'action lacanienne", a mis en évidence que:

(...) "Inciter à la création de dispositifs pour la psychanalyse appliquée à la thérapeutique, y inclus les CPCT, doit, de préférence, être attaché à la manière dont les Cartels fonctionnent pour ce qui concerne à la discussion et à la critique assidues du fonctionnement de cette sorte de Services. Cette tâche nous engage à la réalisation d'un travail épistémique très important, considérant qu'il revient à la psychanalyse pure la préparation des opérateurs pour la psychanalyse appliquée".

Cordialement à vous.

vendredi 24 octobre 2008

Entretien d'actualité n°13

F.H. Freda avec J.-A. Miller

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

13

publié 74, rue d’Assas à Paris 6ème par JAM

le vendredi 24 octobre 2008

J.-A. Miller – Vous vouliez présenter une chronologie du CPCT-Chabrol ?

F.-H. Freda – C’est pour moi une opportunité de répondre. Aujourd’hui, je suis un peu loin du CPCT dans son fonctionnement interne. Depuis mon départ, je n’ai eu affaire au CPCT qu’une seule fois, à la demande de Fabien Grasser, quand il s’agissait de rencontrer un haut fonctionnaire.

Dès le premier jour où j’ai commencé à travailler à la direction du CPCT, je me suis tout de suite aperçu que ce qui faisait exister le CPCT, c’était le psychanalyste du CPCT. Le choix a été fait très rapidement de constituer deux groupes : un premier groupe d’analystes hautement renommés de l’École, et un second, de gens plus jeunes, à qui on a donné très rapidement une place.

Quant au mode de fonctionnement du traitement, je me souviens de la phrase d’un des collègues : "C’est une douche froide sur le transfert." Pourquoi ? Parce qu’on connaît la fin du traitement avant même son début. On a en quelque sorte enlevé au psychanalyste l’une de ses armes, le temps. Le CPCT lui enlève aussi une autre arme : l’argent. Comment travailler et recevoir en tant qu’analyste, alors qu’il y a ces deux variables qui, d’emblée, interfèrent ? Là se trouve le point inédit du CPCT pour le psychanalyste.

C’est pourquoi dès le début s’est posée la question pertinente et insistante : "Que fait-on après les seize séances ?", même s’il y avait la possibilité de les renouveler une fois. La fin était anticipée, et c’est ce qui a donné une façon particulière de faire avec le temps. Ces deux dimensions ont joué un rôle important dans toute la réflexion sur le CPCT, ayant mis en place un double système de consultation et de traitement.

La consultation est le moment nécessaire pour nommer un symptôme, à partir duquel on travaille, avec une sélection de certains patients ne pouvant pas être pris dans le dispositif, et toujours le souci de ne pas lâcher le patient dans la nature. Au fur et à mesure que l’expérience avançait, deux soucis sont apparus. Le premier, de regarder l’expérience de près ; de là sont apparues les réunions cliniques, la RIM, une fois par mois. Mais aussi, chaque analyste A avait en charge la responsabilités d’analystes plus jeunes avec qui il travaillait tous les cas pour la suite du traitement. Le CPCT étant une création de l’École, on ne pouvait pas courir de risque, il fallait contrôler minutieusement l’expérience. Jusqu’à maintenant, nous n’avons eu aucune passage à l’acte grave, aucun suicide, aucune situation qui aurait conduit à faire appel à la police. Cela donne une idée du sérieux du travail clinique accompli.

Une des choses qui m’étonnaient le plus, c’était la qualité de la formation de ces nouvelles générations avec qui je travaillais tous les jours, constamment. Étonné de leur pertinence, de la façon dont ils regardaient les cas, et je voyais, comme je ne l’avais encore jamais vu, le fond du travail qu’il y avait derrière – travail des Sections cliniques, des différents appareils de l’École où il y a une formation constante, plus l’analyse personnelle et le contrôle pour la majorité de ces personnes. Tous ceux qui sont entrés lors de mon mandat, étaient tous en analyse avec un membre de l’École, sinon ils ne pouvaient intégrer le CPCT, c’était une condition sine qua non, à quelques exceptions près. Ils étaient en analyse depuis longtemps, et on considérait qu’ils pouvaient intégrer le CPCT. Cette source d’étonnement n’était pas seulement pour moi : mes collègues appréciaient beaucoup la vivacité des plus jeunes, produit d’un savoir acquis. Puis, des gens nouveaux sont arrivés, à partir de l’Atelier de psychanalyse appliqué. Les directeurs de l’époque les ont interrogés un par un pour savoir s’ils étaient aptes à travailler au CPCT.

En même temps, tout le monde apprenait des choses. J’ai moi-même tiré un grand profit, en tant qu’analyste, de ce que produisait les autres. Quand j’avais 40 ans, je ne suis pas sûr que j’étais aussi bien formé que tous ces jeunes-là. Je voyais le travail de l’École et du Champ freudien là vivant. C’était une force énorme, et une tranquillité pour le directeur que j’étais à l’époque. J’étais devant des personnes qui avaient acquis une expérience et une formations solides.

Ceci était clair d’emblé : l’École, c’est l’École, le CPCT, c’est le CPCT. La formation analytique, c’est l’École. Au CPCT, c’est une expérience clinique, liée à l’École. Il n’y a jamais eu la moindre ambiguïté.

On peut penser le CPCT comme un produit de l’histoire, du moment historique que l’on vivait, des forums, etc, et votre impulsion. On sait qu’il y avait une histoire derrière : déjà il y a quinze ans on avait pensé créer quelque chose de cet ordre. Cette expérience, il fallait la faire à ce moment-là, elle était bienvenue, mais je pense aussi que c’était lié à une nouvelle conception de la formation de l’analyste, de ce qu’est un analyste aujourd’hui, dont votre enseignement témoigne. Il y a un lien à trouver entre la définition que vous avez donnée au cours des dix dernières années de l’analyste, sa fonction dans le monde, la place qu’il occupe dans la société. Il y a là irruption du CPCT sur la place publique. On ne peut pas croire que c’est seulement une initiative de pure circonstance. Il y a un soubassement théorique, une nouvelle orientation de l’École que le CPCT incarne, en quelque sorte. Seule l’École a pu faire ça., parce qu’il y avait les éléments pour le faire : une idée de base de ce qu’est la psychanalyse aujourd’hui, de ce qu’est le psychanalyste dans le monde, et ça, c’est votre enseignement. Et de l’autre côté, une École solide qui pouvait faire face à ces sortes de tensions que posait inévitablement le CPCT. Si on ne pense pas ça comme ça, on ne s’aperçoit pas véritablement du noyau dur du CPCT. Voilà ce que j’aimerais bien manifester aujourd’hui.

L’amendement Accoyer a été l’événement déclenchant, mais ce qui a permis le CPCT, c’est un énorme bagage de formation, et un discours qui pouvait l’orienter qui était votre enseignement. On ne peut pas nier qu’il y a eu, quelque temps après la création du CPCT, la sortie du Séminaire Le Sinthome, qui tombait très bien. Vous l’aviez dit dès avant, dans le livre Joyce avec Lacan : "À partir du Sinthome, tout l’appareil psychanalytique est modifié, du fait que le symptôme fait partie de la structure, il n’est plus hors de la structure." De ce seul fait-là, tout l’appareil psychanalytique bouge, n’est plus le même. Le CPCT a fait très rapidement écho à tout ça, avec les notions de débranchement, désinsertion, précarité symbolique, métaphores de ce qui était une ligne tracée. Voilà le fondement même du CPCT.

Trois scansions

Vous m’aviez parlé d’une chronologie. Voulez-vous en donner les scansions ?

Comme le disait Alain Merlet, qui a travaillé au CPCT dès le début - en faisant le voyage depuis Bordeaux, un effort énorme – on a appelé le CPCT " la danseuse de l’École ". Dès le premier jour, on le savait, il y avait de l’argent pour deux ans. Dès la première année, l’obligation du directeur était de rendre le CPCT autonome financièrement, autofinancé. L’important n’était pas le financement en tant que tel, mais que le CPCT s’inscrive dans l’Autre social. Avec lui, c’était la psychanalyse de l’École qui était représentée là d’où on voulait à tout prix nous exclure. On aurait pu le financer autrement, sans demander quoi que ce soit, par exemple en faisant payer au patient trois, quatre, dix euros chacun. Mais la question n’était pas là.

Pour moi, c’était une expérience inouïe. Aller présenter le CPCT à différentes instances de la ville de Paris ou de l’État, c’était incroyable. C’est le mot : on ne pouvait pas nous croire. On a produit un véritable choc de surprise, et surtout une énorme méfiance : "Pourquoi, vous, psychanalyste, qui êtes si bien installés, et qui gagnez si bien votre vie, voulez-vous venir sur la place publique offrir la psychanalyse à tout le monde, gratuitement ? Où est le traquenard ? Sans doute vous voulez remplir vos cabinets de patients, et vous voulez que l’on vous finance les premiers mois, pour, après, remplir vos cabinets." Quand on a montré les statistiques, ils se sont aperçus que ce n’était pas tout à fait comme ça.

Disons-le, pendant un an et demi, pas un centime ! La première subvention se montait à 7 000 euros, cachés au fond d’un tiroir d’une administration. C’est à partir de la question de l’autre, "J’aimerais bien voir ce que vous faites : qu’est-ce que ça donne ?", qu’il y a eu moment de voir pour moi : on devait être encore beaucoup plus performants, notre système devait être beaucoup plus rigoureux encore. Tout un jeu d’aller-retour. En même temps, le Conseil d’administration de l’École et son Bureau étaient régulièrement avertis de tout ça. Notre inscription s’est faite petit à petit, pour payer le fonctionnement de l’institution.

Quelles sont les scansions ?

La première scansion, c’est quand nous avons obtenu la première subvention.

Quand ?

Je dirais, un an et demi après l’ouverture du CPCT, mais c’est à vérifier.

Le second moment ?

Un deuxième moment très important est celui où nous avons commencé à produire la contre-expérience. Elle était la tentative de voir les inconvénients de l’expérience.

Voulez-vous expliquer ce qu’a été cette contre-expérience ?

Il s’agissait d’un groupe de collègues se réunissant une fois par mois avec moi, et on analysait les problèmes liés au fonctionnement, les limites institutionnelles, les questions cliniques que ça soulevait, et les incidences directes dans le traitement pour les patients. Il fallait affiner davantage l’appareil conceptuel. Ce qui nous a été d’une aide majeure, c’est le Séminaire sur La Relation d’objet.

Le petit Hans, c’est véritablement le traitement CPCT, en quelque sorte. Il nous donnait une sorte de modèle de travail : séance par séance, une après l’autre ; nommer la séance ; que s’était-il passé ? quels étaient les signifiants ? comment se dégonfle l’imaginaire, comment fait irruption un nouveau signifiant, comme se produit une accalmie pour un sujet angoissé, ou quelqu’un qui ne sort pas de son lit depuis deux ans. Ça nous donnait le schéma conceptuel du mode d’opération. J’insistais beaucoup sur l’intervention de l’analyste pour produire des modifications, et comment l’interprétation modifiait le décours d’une trame signifiante. Je prêtais aussi beaucoup d’attention à l’entrée du patient dans le monde fantasmatique, c’est-à-dire là où la dimension temporelle va prendre une autre ampleur. Et on savait à quel moment il fallait s’arrêter, ne pas laisser le patient continuer dans sa voie associative : " Nous ne pouvons pas vous assurer une suite indéfinie, comme le mérite ce que vous venez de dire. Nous nous sommes déjà éloignés du problème initial pour lequel vous aviez frappé à la porte ". Je me souviens d’un cas d’Esthela Solano par rapport à un petit enfant , avec un rêve. Elle-même dit qu’elle a mis l’accent sur un côté et pas sur l’autre, parce que mettre l’accent sur l’autre côté aurait déclenché l’entrée dans la voie fantasmatique, à laquelle elle ne pouvait donner suite, étant donné la structure du CPCT.

On doit avoir emmagasiné 300 à 400 cas comme celui-là, cas écrits l’un après l’autre qu’il faudra un jour exploiter. Ça, c’est la scansion orientée de la clinique.

La première scansion se termine avec la première subvention. La seconde est la contre-expérience, qui a commencé quand ?

Un an et demi après. C’est vous-même qui m’aviez indiqué que le CPCT était une expérience, et qu’il fallait en faire la contre-expérience.

Combien de temps a duré la contre-expérience que vous avez faite ?

En principe, jusqu’à mon départ.

Quelle est la troisième scansion ?

C’est le développement d’Unités. Nous les avons créées en tenant compte de l’âge : adultes, ados, enfants. Mais pour moi, la scansion, c’est quand a été créée l’Unité Précarité.

Quand était-ce ?

Environ deux années après le début de l’expérience. On voyait beaucoup de patients se présenter dans un état de précarité en tant que telle : les "sans domicile fixe". Des associations nous adressaient des gens : tout ce que l’on avait offert de possibilité d’insertion avait été voué à l’échec. "Il y a donc un problème psychologique. Allez voir le psychanalyste." Étonnant ! C’est le psychanalyste le mieux placé pour essayer de brancher à nouveau un sujet complètement débranché. J’ai donc conçu une Unité spéciale qui ne s’occupe que de ce problème, l’Unité Précarité.

Là, il y a eu un changement. L’idée était que le sujet était identifié à ce nom, à "être précaire", et qu’il fallait le désidentifier de cette position subjective dans laquelle il se complaisait. C’est là qu’il y a eu un moment d’inflexion au CPCT.

Je voulais faire d’autres unités de cet ordre, j’avais d’autres idées. J’avais été contacté vers la fin de mon mandat par des autorités, les ministères, des personnes de la DASS, de la DRAC, que j’étais allé voir de nombreuses fois pendant toutes ces années. Et, une fois, a été évoquée la question de l’obésité, qui devenait un problème de santé majeur : ces autorités voulaient avoir la proposition de l’analyse à ce sujet-là, parce qu’il y avait un certain échec des traitements jusqu’alors proposés. Pour certaines raisons, je n’ai pas pu mettre en place cette unité-là. Mais il y avait la possibilité de créer des Unités centrées sur le "s’identifier" à un nom, dans ce cas "obèse". Cette identification, il fallait la maintenir, et la travailler à partir d’une pratique très particulière.

C’est ce que je faisais dans mon travail auprès des toxicomanes. Je tenais à savoir pourquoi un sujet s’identifiait au "toxicomane", à un tel point que "toxicomane" devenait son nom. Souvenez-vous des cas de toxicomanie que je présentais à l’époque du GRETA. Je m’appuyais sur un texte bien précis de Lacan, la séance de clôture de la Journée des cartels de l’École freudienne de Paris en 1975, où il préconise de lire attentivement le petit Hans, et où il dit : "On n’a pas tiré toute la morale du petit Hans." "Morale", là, a le sens de "enseignement", mais pas seulement.

Comme on dit : "la morale d’une fable." Donc, les Unités : il y a l’Unité enfants, l’Unité ados,…

Il y a eu la belle Unité Précarité. Après, en raison des circonstances, il y a eu l’Unité Dépression. Cette création avait un caractère politique. Donc, quatre Unités pendant mon mandat.

Et après ?

Il faut le demander à Fabien Grasser, le nouveau directeur : dernièrement, d’autres Unités ont été créées, par exemple l’Unité dite " Les causeuses ", pour les femmes battues. La création de ces Unités est un point d’inflexion, qui a provoqué une série de polémiques à l’intérieur du CPCT. Certains disaient : "On stigmatise le sujet", et je répondais : "Mais il est déjà stigmatisé, il faut l’en sortir". Rencontrer un psychanalyste, c’est ça : l’arracher à cette stigmatisation.

Avez-vous achevé votre présentation de la chronologie et de la conception du CPCT ?

Oui.

Alors, commençons une troisième partie.

Du CPCT à l’École

Le CPCT-Chabrol et les CPCT sont discutés, mis en débat. Cela a commencé avec la Conférence institutionnelle de l’École, qui s’est réunie à la mi-septembre, sur le thème choisi par le Bureau de l’École, "Notre École, notre psychanalyste". Vous aviez prévu trois séquences, vous m’aviez demandé de présider la troisième, onze textes ont été lus. Puis il y a eu une heure de discussion, où le CPCT-Chabrol a été débattu. J’ai été amené à dire qu’il faudra faire un " audit " sur ce CPCT. Durant un mois, plus rien. Aux Journées de l’École, j’ai fait deux interventions, et ensuite ont commencé ces "Entretiens d’actualité", d’abord avec Jorge Forbes. J’ai commencé à recevoir des contributions, je les ai publiées, puis suscitées. Aujourd’hui, mercredi 22 octobre, nous en sommes au numéro 11. Sont parues aujourd’hui même, une contribution de Pascale Fari, et une autre de Daniela Fernandez. Je ne sais pas si vous avez eu le temps de les lire.

Non, pas encore.

Que vous inspire ce débat ? qu’en retenez-vous ? qu’est-ce que vous en écartez ? quelles sont vos réactions, vos objections, vos réponses ? Quel est le regard que vous portez à la fois sur ces contributions et sur le CPCT ? Y a-t-il certains éléments qui vous paraissent dignes d’être pris en considération ?

À suivre

jeudi 23 octobre 2008

Electro-Brochure Conversation de Bordeaux

Vous pouvez télécharger ici l'électro-brochure qui a servi de base à la Conversation sur le phénomène CPCT que Jacques-Alain Miller a animée à Bordeaux le 18 octobre dernier.

Pour télécharger le fichier au format pdf - cliquez ici

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Entretien d'actualité n°12

Une contribution de Philippe La Sagna ;

Document : Intervention de Lilia Mahjoub, le 13 septembre 2008

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

12

publié 74, rue d’Assas à Paris 6ème par JAM

le jeudi 23 octobre 2008

- On trouvera dans cette livraison : un texte de Philippe La Sagna, directeur du CPCT-Bordeaux, rédigé pour l’électrobrochure de la réunion de samedi dernier ; à titre de document, l’intervention de Lilia Mahjoub lors de la Conférence institutionnelle de l’École, tenue à Paris le 13 septembre dernier.

Philippe La Sagna : Où va cette expérience ?

Il y a quelque chose de l’illimité dans le développement des CPCT et de chaque CPCT en particulier. Cet apeiron pour reprendre, en blague, le terme d’Anaximandre cher à Deleuze, est aussi l’élément, la substance, dans lesquels baigne le CPCT.

L’illimité et la limite

L’illimité est lié justement au caractère limité du traitement lui-même, au sens de l’envers de la limite. Ce qui est essentiel au CPCT, ce n’est pas un traitement court, rapide, gratuit, ce qui est essentiel, c’est la limite du but. C’est aussi la difficulté de la psychanalyse appliquée, puisqu’au fond, dans la psychanalyse pure, la limite est un produit interne. Ce qui fait la limite en psychanalyse c’est l’objet. Je pense en effet que le participant du CPCT manie cette limite à la mesure de ce qu’il a rencontré des limites de la psychanalyse dans sa cure. Cette limite doit par contre être façonnée, au CPCT, dans le temps de consultation. Pourquoi l’illimité est-il l’envers du limité : par dialectique peut-être ?

Gremlins freudiens ?

Par démultiplication aussi : chaque CPCT est tenté de se diviser. C’est surtout le cas à Paris pour Chabrol.

Le fait d’introduire une nouvelle unité pour chaque nouveau symptôme visé tend parfois à faire du CPCT le Gremlin de la psychanalyse : si on le nourrit de subventions et de réunions, après minuit, il se multiplie. Les CPCT/Gremlins se transforment-t-ils alors en bêtes voraces ? Se nourriront-ils alors de la même substance que la psychanalyse pure pour l’affamer ?

En réalité, le succès du CPCT n’est qu’un effet du succès du discours analytique, mais du discours analytique devenu aussi parfois peut-être un consommable. Dans ce traitement court, facile à distribuer, sinon à réaliser, il y a présent un morceau de la vraie croix, non l’analyste, mais le discours analytique lui-même. Le discours analytique doit cependant rester et exister par ailleurs, comme substance même de ce qui s’offre dans le CPCT. Sinon sa forme ramassée, réduite, risquera de perdre son attache au réel.

Une clinique de l’objet plus que du symptôme

Ce qui limite classiquement l’analyse classique c’est la production d’un désir : le désir de l’analyste corrélé à un objet produit : l’objet a. Cet objet en jeu dans ce désir singulier n’est pas celui qui est repérable au départ chez l’analysant. Il est devenu le semblant du savoir vrai de l’inconscient qui se désiste.

Ce qui fait limite dans la psychanalyse appliquée c’est ce qui l’oriente : l’objet a. Actif dans la cure, il est un obstacle passif dans le fantasme du sujet et le transfert. Dans le fantasme ou pire, dans la " poche " du sujet psychotique.

La clinique au CPCT n’est pas tant pour nous une clinique du symptôme, de la lecture de l’inconscient, du déchiffrage qu’une clinique de l’objet, de son maniement, de la séparation. Ceci fait de l’objet comme agalma un pivot du traitement rapide. Ce pivot est autre que le transfert comme répétition, attestant de l’inconscient transférentiel. Il suffit cependant d’un cas pour faire du traitement l’exception à cela en se centrant sur l’analyse de rêves.

D’un autre à l’Autre social

Cette pratique nouvelle dans sa purification et sa radicalité met donc en jeu des effets de séparation et de maturation de l’objet en particulier chez les ados. Plus que dans la cure classique la pratique ici joue d’un objet qui fait connexion entre le sujet et l’Autre parental ou social. Le fait que nous traitions des adolescents explique peut-être en quoi nous sommes frappés de cette clinique de la séparation, de ce pouvoir séparateur de l’objet mis en jeu par la psychanalyse au CPCT RD : que ce soit dans l’évitement d’une grossesse précoce, d’un acting-out, ou du déplacement d’une position dépressive, Neycensas explique ça très bien.

Faire limite au CPCT par le CPCT

Le CPCT fait valoir la valeur du compte rendu de l’action de celui qui conduit le traitement, plus que le simple déploiement du cas. Et il ya là une vraie limite à fabriquer. Une clinique de l’analyste, non pas auto-désigné, mais montré dans la logique de son action qui ne doit pas être magique. C'est-à-dire qui ne fait pas que témoigner du simple pouvoir du signifiant ou de la parole sur les symptômes. Y compris du signifiant CPCT lui-même !

L’idée du traitement séance par séance est née du travail de J.-A. Miller sur la séance courte. Cette orientation clinique majeure est " limitante ", par sa rigueur ; elle n’est pas toujours respectée. Le CPCT devient parfois une pseudo origine de nouveautés qui sont ainsi plus retrouvées que trouvées.

Extension / intension

Dans la Proposition de 67, Lacan peut dire : la psychanalyse en extension, " soit tout ce que résume la fonction de notre Ecole en tant qu’elle présentifie la psychanalyse au monde ". On voit que l’extension est pour Lacan une fonction de l’Ecole. Mais là, nous sommes victimes de l’usage des mots : l’extension n’est pas l’extension géographique, ce n’est pas le fait de s’étendre, de faire du chiffre. L’extension se réfère ici à la logique de Carnap et à la sémantique. L’extension de la psychanalyse c’est ce qui permet de situer une expérience comme vérifiant la fonction analytique et donc comme appartenant à la psychanalyse. L’intension au contraire c’est la définition du concept de la psychanalyse qui permet la sélection précédente. Pour Lacan, l’intension avait pour but de constituer la psychanalyse comme expérience originale en définissant le désir de l’analyste et l’analyste logiquement. En définissant l’analyste non par ses effets mais par sa définition dans la doctrine. Que cette définition passe par la satisfaction ne nous fait pas quitter le terrain logique où on peut " satisfaire à ".

Freud

On peut dire alors que la psychanalyse est originale en soi, et non par comparaison avec ce qui n’est pas elle. Ce qui fait les Cinq psychanalyses de Freud des analyses c’est le désir de Freud. Le traitement de Hans se limite à quelques mois, et ce qui en fait une analyse c’est la séance avec Freud ! Donc l’intension ne s’oppose pas à l’extension de la psychanalyse, mais l’extension vérifie l’expérience un par un. La psychanalyse de Lacan c’est l’intension prise coté analysant dans la passe. La butée de l’homme aux loups met en avant la question du fantasme et la fait vaciller. Cette analyse est centrée sur l’impasse du fantasme. Le traitement rapide de Hans, lui fait du fantasme la porte de l’oubli qui fait glisser la psychanalyse dans la psychothérapie. Avec ou sans Freud. Que reste-t-il des traitements au CPCT ? Le rendez-vous de post cure six mois après est souvent oublié.

L’envers de la routine

Le CPCT s’est présenté, lui, comme une expérience plus inédite qu’originale. Pour rester inédite l’extension a dû se développer toujours plus. Etant né sous le signe de l’extension / mutation, le CPCT Chabrol a su ou dû, se dé-multiplier (ado, enfant, précarité etc…). Ce qui lui permettait de rester toujours nouveau, et aussi toujours un autre. Un autre pour l’Autre social, et donc en prise directe sur le social, parce que le social c’est l’Autre qui semble toujours exister, malgré les Progrès du " liquide " cher à Baumann (CF le Discours de présentation de Pipol IV par J.-A. Miller publié dans la LM 261). J’ai bien senti aussi ce problème à Bordeaux en créant une deuxième unité le CPCT Lien Social.

La prise directe sur le social ne veut rien dire d’autre que l’Autre, qui n’est pas l’inconscient qui, lui, commence quand il se met en discours, se réduit aujourd’hui non pas à ses idéaux et à ses valeurs mais à sa routine. Mais c’est la routine consommatrice qui fait le social autant ou plus que la langue dite de l’Autre. C’est l’usage, le commerce humain qui écrit sans cesse sa trace, et se dépose en langage. Dans ces usages le fait d’utiliser nos termes fait valoir notre usage de la psychanalyse comme contre routine.

Le CPCT a su faire faire valoir cet art de la surprise en analyse.

La force de la structure

Jacques-Alain Miller remarquait à Barcelone que la structure à une action et que la structure à ce niveau se substitue au cadre Notre force c’est celle de la structure qui doit être animée du désir. Mais au fond de la structure nous pouvons dire qu’il faut savoir s’en passer à condition de s’en servir. La base psychanalytique du symptôme que proposait J.-A. Miller il y a un peu plus d’un an, c’est un effet de la structure. La perspective borroméenne, elle aussi, dégage l’usage pragmatique de RSI qui permet de se servir de l’effet de structure pour mieux s’en passer.

Il faut donc se méfier de l’idée que le traitement rapide supposerait une réalité plus simple ; la complexité (celle de la psychanalyse et de sa doctrine, comme le remarquait J.-A. Miller dans la Conversation de Barcelone) est ce qui s’oppose à la mécanisation de sa pratique. La pratique du CPCT risque aussi cela, même si elle vient interroger la routine semblant mécanique de la cure type.

Pour éviter la fausse simplicité il faut maintenir la nécessité de construire quelque chose à partir du travail au CPCT. Sur les deux ans de présence, les consultants pourraient rédiger un travail sur ce qui se dépose dans la doctrine comme question clinique du CPCT.

Enfin ne faut-il pas envisager que les unités du CPCT aient une vie limitée dans le temps. Que l’on fasse une institution CPCT pour un temps défini. Et aussi que l’espèce CPCT soit limitée dans sa croissance vigoureuse dans le biotope par d’autres inventions institutionnelles contingentes, précaires et désirantes. La clé du CPCT à venir n’est peut-être pas la pérennité.

Lilia Mahjoub : Intervention du 13 septembre 2008

J’ai lu attentivement les vingt-deux textes parus pour la préparation de cette Conférence institutionnelle, intitulée " Notre École, notre psychanalyste ".

À travers cette lecture, mais aussi à partir de ce qui circule dans et autour de l’Ecole, j’ai remarqué qu’il y avait des énoncés, des dits, des formulations que je ne rapporterai à aucun auteur précis, qui n’ont l’air de rien et paraissent évidentes, mais qui insistent comme autant de significations, de reflets d’opinions, d’idées reçues, sur la situation actuelle de l’École et de son psychanalyste.

Je souhaiterais m’y arrêter à partir de trois exemples.

1/ La première chose que j’ai noté dans ma lecture, et qui m’a frappée, c’est que la majorité des textes sur le sujet retenu pour cette conférence, à savoir l’Ecole, le psychanalyste et la réglementation du titre de psychothérapeute, parlent des CPCT, voire de la psychanalyse appliquée dans les institutions.

Est-ce dû à la prégnance du groupe qui se désigne dans le " Notre" répété du titre de cette conférence (Notre Ecole, Notre psychanalyste) ? Il est indéniable que la pratique aux CPCT est marquée par le groupe : contrôles en groupe, examen des résultats en groupe, groupes de recherche, etc., ce qui entraînerait une sorte de mise en commun généralisée : notre savoir, notre réel, notre formation, notre Ecole, etc.

Cette liste s’arrêtera là, et ne s’y ajouteront pas fort heureusement : notre inconscient, notre transfert, notre objet a.

Il n’y a pas, en effet, de sujet collectif de l’inconscient, et pour ce qu’il en est de l’objet, celui-ci peut donner lieu à une identification, celle épinglée par Freud à propos du pensionnat et reprise par Lacan à propos de son Ecole.

Une dose d’hystérie est certes nécessaire pour que les psychanalystes se rassemblent et, à l’occasion, puissent parler à la première personne du pluriel, mais cela ne saurait suffire au discours de l’analyste, et partant à la solitude dont l’acte de celui-ci se soutient.

2/ Un autre énoncé m’a aussi interpellée : " Le psychanalyste est sorti de son cabinet ", ou " Le psychanalyste est sorti dans la ville ". Il est même tellement sorti qu’on le croirait presque devenu " sans domicile ", après avoir été l’homme de la Caverne, celui de l’allégorie de Platon.

Il est vrai que ces dernières années, dans le contexte de la contre-attaque que lança Jacques-Alain Miller avec les forums, les psychanalystes, au niveau de leur rassemblement et de leur action commune, ont été plus visibles. Des personnes de tous horizons ont aussi gonflé les rangs de ce combat. Il est indéniable que quelque chose du discours analytique se jouait alors – et se joue encore aujourd’hui - mais ceux qui s’expriment ou qui agissent à propos de la réglementation, le font-ils au titre de psychanalyste ?

Se faire entendre n’est pas l’apanage du psychanalyste. C’est d’abord la tâche de l’analysant. Quand Lacan s’exprimait publiquement, lors de ses séminaires, ne disait-il pas qu’il était dans la position de l’analysant ? N’est-ce pas ce qui peut arriver de mieux à celui qui est ou a été analysant, analyste ou pas, soit de ne pas oublier cette position, y compris quand il représente un ensemble, un groupe, une fonction ?

3/ Le troisième et dernier point qui m’a également frappée est celui-ci : il m’apparaît que l’on voudrait maintenant repenser l’Ecole à partir de ce que celle-ci a créé, les CPCT, mais aussi définir le psychanalyste nouveau à partir de sa pratique dans " la cité ". Cette façon de voir changerait bien des choses.

Tout d’abord, l’Ecole a-t-elle épuisé tous ses moyens de création dans le modèle du CPCT ? N’a-t-elle pas encore des ressources pour d’autres productions, d’autres trouvailles, d’autres projets ?

Ensuite, le " psychanalyste nouveau " qui se dessine ne serait plus celui dont " l’acte pourrait se saisir dans le temps qu’il se produit ", et ce, dans la passe. Il semble que, dans la façon de poser le problème qui se fait jour à travers les contributions reçues, il s’est produit un recouvrement du psychanalyste par " le clinicien ". Or, il peut y avoir des bons cliniciens sans qu’il y ait de psychanalyste, voire du psychanalyste. L’Ecole a-t-elle vocation à fabriquer des cliniciens ?

Je ne crois pas que l’Ecole ait à se mettre à l’heure de ce qu’elle crée. Elle a plutôt à se frayer d’autres chemins, d’autres rails, pour que le discours analytique continue d’exister, et puisse l’emporter sur d’autres discours.

On parle beaucoup de recherche, de groupes de recherche. J’en ai aussi parlé à l’occasion. Mais je suis assez circonspecte à ce sujet. Plus qu’à chercher, l’Ecole a à trouver. Lacan soulignait l’affinité qui existe entre la recherche et le registre religieux. Ce qui est recherché, c’est la signification à donner à tel matériel accumulé de l’expérience, à tels textes, en un mot à l’objet de celle-ci. Ce ne sont pas des " recherches " qui viendront grossir la littérature psychanalytique, qui diront ce qu’est la psychanalyse, ce qu’il en est aujourd’hui de la position de l’inconscient, avec l’enseignement de Lacan, mais aussi avec le démasquage du discours du maître, et donc du discours de l’inconscient, depuis Freud.

Lacan a montré comment l’analyse était marquée d’un certain pêché originel, à savoir par ce qui n’a jamais été analysé dans Freud concernant son désir. C’est bien le désir de ce dernier qui a marqué sa conception de l’inconscient. D’où l’appellation d’inconscient freudien, encore désigné comme " inconscient transférentiel " par Jacques-Alain Miller, pour le distinguer de " l’inconscient réel ", celui conçu par Lacan. Peut-on, ici, parler du désir de Lacan ? Je dirai plutôt que, dans sa pratique, Lacan a montré comment seul le désir de l’analyste pouvait traiter ce qui était resté dans la dépendance de ce désir originel de Freud. Sa pratique était de ce fait inimitable.

C’est ce à quoi chaque psychanalyste est confronté dans sa pratique : de ne pas imiter, mais de faire l’épreuve d’un désir sans pareil. C’est aussi, ce que l’Ecole offre de recueillir dans la procédure de la passe : un désir inédit du psychanalyste.

Entretien d'actualité n°11

Daniela Fernandez avec J.-A. Miller

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

11

publié 74, rue d’Assas à Paris 6ème par JAM

le mercredi 22 octobre 2008 (2)

J.-A. Miller – Vous m’avez dit que vous aviez une déclaration liminaire à faire.

Daniela Fernandez – Avant tout, je tiens à dire qu’il s’agit de mon expérience à moi au CPCT. Depuis cinq ans, je travaille au CPCT de la rue de Chabrol, c’est-à-dire depuis sa création, et j’ai donné beaucoup de temps, de libido, pour monter, avec beaucoup d’autres collègues, cette expérience. Je constate pour ma part que quelque chose n’est plus à sa place, et je constate aussi les effets de groupe qui agissent en moi. Par exemple, lors de la Conférence institutionnelle de l’École en septembre, dès que j’ai commencé à écouter les critiques sur le CPCT-Chabrol, j’étais comme poussée à défendre le CPCT. C’était une sorte de "Touche pas à mon CPCT" qui s’imposait. Les effets de groupe sont donc indéniables. Il me semble qu’il ne s’agit pas de défendre le CPCT, mais il ne s’agit pas non plus de l’attaquer. Il s’agirait plutôt d’essayer de comprendre ce qui s’est passé, comment on en est arrivé là.

Je suis d’accord.

Mais dans votre entretien avec Forbes, vous parlez d’un temps logique qui doit être collectif. Il me semble à moi que l’on ne peut pas s’épargner un temps solitaire, qui concerne la relation de chacun à la cause analytique. Là, on est seul, il n’y a pas de groupes, ni d’amis, ni d’engagement avec quelque chose d’autre. Donc, la place d’où je parle, c’est mon expérience à moi. Je parle de moi, de ce qui m’est arrivé.

Alors, que vous est-il arrivé au CPCT ?

Il y a d’abord un constat : tout est devenu clinique. Moi, au CPCT, je ne parle que de clinique. Lors des RIM, dans les groupes de contrôle clinique, lorsqu’on fait des conférences, lorsqu’on est invité, par exemple par les ACF, on ne parle que de clinique. Par exemple, il est très bien vu que les textes n’incluent pas de références théoriques ou des concepts lacaniens. On essaie de ne pas dire objet a, sinthome, forclusion du Nom-du-Père, parce que l’on pense toujours au public, et aussi parce que les textes sont devenus de plus en plus courts, parce qu’on n’inclut pas de théorie. On n’explique pas. La clinique, la pragmatique, c’est là où l’accent est mis. Il y a un effet de presqu’exclusivité clinique au détriment de notre intérêt pour la théorie. Je peux passer une année à faire un grand nombre de tâches, et je constate que je lis de moins en moins Lacan. Je ne travaille pas les textes fondamentaux.

Au bénéfice de quelles tâches ?

Un grand nombre de tâches qui sont nécessaires pour soutenir le fonctionnement du CPCT-Chabrol : assister aux nombreuses réunions, remplir un dossier de subvention, rencontrer des partenaires. On peut être appelé à faire des supervisions dans des institutions. Il y a aussi le séminaire de recherche, l’unité de formation où l’on peut être appelé à participer. Quoi d’autre encore ? Les statistiques, les rapports pour les subventions, les rapports d’activité, remplir les cartes cliniques pour chaque patient, les archives, la trésorerie, l’entretien du local, les comptes-rendus, le Journal de bord. Nous ne faisons pas tous tout, mais tout de même il y a un énorme dispositif.

Combien les jeunes consultants donnent-ils d’heures ?

C’est difficile à chiffrer.

Combien, vous, vous donnez d’heures ?

Déjà, pour recevoir des patients, je donnais cinq, six heures dans la semaine. Mais c’est difficile à mesurer, parce que c’est un travail que je fais chez moi face à l’ordinateur.

Combien d’heures le CPCT prend dans votre vie pendant une semaine?

Beaucoup. Les six heures du vendredi, deux, trois réunions par semaine le soir, et puis le travail que je peux faire pour écrire pour le CPCT.

Vous n’écrivez que pour le CPCT ?

Oui. La seule chose que je fais en dehors du CPCT, c’est la Journée de la Section clinique.

Par ailleurs, vous travaillez ?

Oui.

À votre cabinet et dans une institution ?

Oui.

Donc, le CPCT prend tout le reste de votre temps de travail ?

Oui. C’est une "pompe à libido", c’est indéniable.

Ça, c’est pour vous. Et les autres ?

Si on voit l’ampleur que le CPCT a prise, on peut supposer qu’il y a des gens qui donnent leur temps pour soutenir ça. Et ça devient de plus en plus important. Dès qu’on a un nouveau partenaire…

Dans l’idée que je me faisais au départ, on avait en effet à chercher des subventions pour faire vivre un CPCT de quinze consultants bénévoles, payer le loyer, le secrétariat. Et après, on n’avait plus besoin de chercher des subventions.

Oui, mais le problème, c’est qu’on a découvert que les subventions pérennes, ça n’existe plus. Elles sont limitées à une action, limitées dans le temps. Pour obtenir la subvention, il faut monter un projet autour d’une seule action, faire le budget prévisionnel, et tout ça prend du temps. Il y a des pièces administratives. Ensuite, il faut justifier que l’on a réalisé cette action. On ne peut pas demander de l’argent pour le fonctionnement de l’institution. Il faut sans cesse courir derrière les subventions, action par action.

Pour les renouveler ?

Non. La plupart ne sont pas renouvelables. Il faut trouver de nouvelles subventions. Ça fonctionne par appel d’offre. Par exemple, les partenaires disent : "Action pour combattre la consommation de cannabis", et il faut inventer un projet pour cette action précisément.

Ce sont donc eux qui dictent ?

Oui. C’est par appel d’offre. Ce n’est plus : on demande de l’argent pour notre centre qui accueille gratuitement des personnes. Cela demande donc un travail assez important.

Et ce travail-là, ce sont les jeunes consultants qui le font ?

Principalement. Au début, quand on a créé la commission des finances, en octobre 2003, nous étions trois, et aussi le directeur qui était dans tous les dossiers de demande de subvention. Ensuite, chaque unité…

Au départ, combien étiez-vous au CPCT ?

À peu près vingt.

Pendant combien de temps ?

D’avril à novembre 2003. En novembre, la première promotion de l’Atelier de psychanalyse appliquée arrive au CPCT. L’équipe stable d’avril venait juste de démarrer l’expérience. Donc, dix à quinze personnes en plus. Le principe était que ces personnes resteraient jusqu’à l’arrivée de la seconde promotion. Lorsque la deuxième promotion est arrivée, beaucoup de gens de la première sont partis, sauf qu’on a fait de nombreuses exceptions, parce qu’il y avait des gens dans des fonctions importantes, vitales pour le CPCT.

Les tâches proposées étaient bien différentes de celles que j’imaginais.

Mais comment faire pour que le CPCT continue ? Il fallait trouver des subventions, il fallait faire vite.

Mais il ne fallait pas se servir des étudiants pour ça, tout de même.

Mais qui l’aurait fait ?

Alors, le projet était impossible.

Ça, c’est possible.

Si vous me dites que le CPCT ne peut exister que si la jeunesse psychanalytique de Paris passe son temps à faire trois réunions institutionnelles par semaine et à chasser la subvention, alors c’est bien simple : le CPCT ne peut pas exister. C’est broyer la psychanalyse sous prétexte de la répandre. C’est enter – e.n.t.e.r. – le discours du maître au cœur de notre propre dispositif.

Il y avait chez nous tous un impératif que ça marche.

À tout prix ?

Oui, à tout prix. Mais on n’a pas vendu notre âme : chaque dossier de subvention était étudié, et on ne demandait pas de subventions n’importe où. S’il y avait une contrepartie qui engageait la psychanalyse d’une façon que l’on considérait comme mauvaise, on ne le faisait pas. On n’a pas fait n’importe quoi.

Comment avez-vous pu accepter de donner tant de temps chaque semaine à des tâches pareilles, au détriment de votre formation ?

Je voulais que ça marche. Je voulais continuer à travailler au CPCT, parce qu’il y avait le côté joyeux du travail. Et j’ai aussi beaucoup appris.

Qu’avez-vous appris ?

Les réunions et les groupes cliniques étaient pour moi un luxe : pouvoir discuter de la clinique deux, trois fois par semaine avec des collègues, et même avec des collègues du groupe A. Je n’avais jamais eu cette possibilité. Puis, en raison du temps limité du traitement, on devait justifier ce que l’on avait fait à chaque séance, on devait répondre de chaque intervention qu’on avait faite, tenter d’expliquer le ressort analytique de chaque opération. Ça, c’était génial. Le traitement devient un laboratoire où l’on doit répondre de ce que l’on fait. Tenter de saisir les signifiants majeurs du patient pour voir comment on peut agir sur la jouissance. Le CPCT m’a permis que ça devienne tellement clair dans ma tête.

Elle paie quoi, la subvention ?

Le salaire de la secrétaire, la femme de ménage, le loyer, et parfois des brochures pour faire connaître chaque unité. Il y a aussi la papeterie, les ordinateurs, etc. Et il y a aussi les honoraires. Là, il me semble qu’il y a un gros malentendu. J’ai entendu il y a peu dire à un jeune qui venait d’arriver de l’Atelier que l’on donnait des honoraires aux analystes qui travaillent le plus. Il ne s’agit pas de ça. Il faut dépenser l’argent des subventions. Cet argent ne peut pas être utilisé pour le fonctionnement du CPCT, pour payer le loyer par exemple. Dans le cas des certaines actions, on paye des honoraires aux psychologues, déclarés à l’URSSAF. Ce ne sont pas des sommes énormes, il me semble que personne ne gagnait beaucoup. Il faut faire sortir l’argent des subventions.

Si le CPCT était un secrétariat, et si les consultants recevaient les patients chez eux, ça changerait quelque chose ?

Je pense que de nombreux patients n’iraient pas dans un cabinet. Beaucoup disent qu’ils ne veulent pas voir un analyste. Certains ont vu parfois dix analystes, et disent que, pour eux, la psychanalyse, ça ne marche pas. Mais après qu’ils sont passés par le CPCT, ils changent éventuellement d’avis. Le CPCT est tout de même un Centre psychanalytique, mais quand un patient arrive en disant que l’analyse n’a pas fonctionné pour lui, on leur répond qu’on va essayer. Si on leur disait d’aller rencontrer quelqu’un dans un cabinet, beaucoup seraient découragés, même s’ils ne paient pas. Un cabinet, ça fait penser à un psychanalyste. Beaucoup ont des préjugés. L’institution, surtout en France, fonctionne très bien. Les patients font plus confiance parce que c’est gratuit et institutionnel.

Autre question : qu’est-ce que vous appelez exactement les "effets de groupe" ?

C’est déjà le fait de ne pas avoir appliqué la permutation. Au début, on avait besoin de beaucoup de monde. Et nous sommes restés trop de temps. Les personnes ont commencé à s’identifier à leur fonction. Et puis, par exemple, la présentation séance par séance a été généralisée. Au début, je trouvais cette idée géniale, mais on ne peut pas l’appliquer dans tous les cas. Ça, c’est un effet d’imitation : on met le pilote automatique, et on fait tous la présentation séance par séance. On fait la transcription des notes, presque littéralement, parfois les textes sont très longs…

Vous disiez que les textes étaient courts ?

Oui, les textes qu’on présente au public. Mais pour la RIM, par exemple, qui est plutôt un laboratoire, on commente le dialogue entre le clinicien et le patient. Même dans les Journées PIPOL ou celles de l’ECF, on a cet effet-là aujourd’hui : transcrire le dialogue, ce qu’on appelle " le style CPCT ".

C’est le degré zéro de l’élaboration.

On a ce risque-là. Il y a beaucoup de risques dont on doit se protéger. C’est une expérience si énorme, qui a pris une telle taille, que l’on perd le contrôle des choses.

Il y a 90 personnes qui se déplacent pour votre réunion institutionnelle mensuelle ?

Oui.

Il y a un esprit de corps au CPCT-Chabrol ?

Oui, je le pense. Dans une période où on se sent attaqué, comme ces jours-ci, on veut défendre le CPCT, et on ne supporte pas que l’on y touche, moi y compris. Il est difficile pour moi de mettre en question cette expérience.

Que mettez-vous en question finalement ?

Que tout est clinique. Avant, je lisais et j’étudiais beaucoup plus.

Ça a l’effet de tarir le goût de l’étude ?

Oui, on n’étudie plus.

Voilà ce que j’ai réussi…

Non. Je me souviens qu’au Congrès de Buenos Aires en 2000, vous aviez porté l’attention sur la psychanalyse appliquée. Il fallait le faire, on avait négligé ce versant-là. Je travaillais dans des institutions et je sentais que ma pratique était mineure. À la suite de ça, vous avez créé l’Atelier de psychanalyse appliquée, et quelque temps après le CPCT. Tout ça m’a servi à travailler autrement dans les institutions. Mais après huit années, on a mis trop le paquet sur la clinique, on en voit aujourd’hui les effets. C’est une oscillation. Le risque maintenant est de recommencer à l’envers : on va reporter l’attention sur la psychanalyse pure, et on dira que la psychanalyse appliquée, c’est n’importe quoi.

Non. Ce ne sera pas une oscillation mécanique, mais une avancée dialectique. Le fait est que, sous prétexte d’étendre le domaine de la psychanalyse en prenant en charge avec le CPCT ce qui se faisait dans les institutions, nous avons en fait ouvert la porte du Champ freudien au discours institutionnel, aux valeurs et aux normes socio-administratives. La passion pour la subvention a tout emporté. C’est ainsi que je traduis de ce que vous me dites.

C’est le risque dont il faut se protéger. Mais il y a l’enthousiasme des jeunes. C’est aussi parce que le CPCT est un lieu où on peut travailler, avoir des réunions cliniques. Il faut tout de même voir ce que c’est que de travailler aujourd’hui dans les institutions. Mais c’est au détriment de certaines choses, comme la lecture, qui me manque, et l’étude.

Les gens ne sont pas à la Section clinique, par ailleurs ?

La plupart ne va plus aux présentations de malades. On ne peut pas tout faire. La troisième promotion qui est arrivée de l’Atelier en novembre 2007 y va peut-être. Ceux qui à la Section clinique passent un DEA vont à leur séminaire de recherche. Mais pour les deux premières promotions, sauf à passer un diplôme, je ne crois pas qu’elles vont aux présentations ou aux séminaires. Moi, je ne vais à aucun séminaire.

Comment se fait-il que l’on ait fini par présenter la fonction de consultant au CPCT comme la voie royale de la formation analytique ? Comment a-t-on pu dire que c’était ça, la formation de l’analyste de l’avenir ? Comment a-t-on pu le croire ?

Jamais un nombre aussi importants de jeunes n’avaient pris la parole pour présenter des cas, dire des choses.

Dans votre génération, a-t-on cru ça ?

Oui, d’une certaine manière. Nous appartenons à une génération qui a pris la parole grâce au CPCT. Il y a eu ce sentiment d’appartenir à… je ne sais pas quoi.

Appartenir à une certaine élite.

Oui, sans doute. C’était déjà ainsi avec l’Atelier.

Pour l’Atelier, j’ai voulu ça.

Mais pour le CPCT, c’est pareil. Pour la toute première équipe, personne ne savait comment on avait été convoqué. Et mes collègues me demandaient comment j’étais entrée au CPCT. Tout le monde voulait en être.

Qu’est-ce que c’est que cette histoire de faire des "formations," des "supervisions" ? On se met au service d’autres institutions pour tourner la manivelle, c’est ça ? Ça n’a rien à voir avec le CPCT. C’est pour gagner de l’argent ?

Oui, parce que les subventions ne suffisent pas.

Qu’est-ce que c’est que ces "Journées formation" du CPCT trois fois par an ?

Ce sont trois Journées avec un thème distinct pour chacune.

Les gens payent pour venir ?

Les gens payent. Il y a un public : ce sont des éducateurs, des assistantes sociales, des psychologues.

Qu’est-ce que ça a à faire avec la mission du CPCT ?

La diffusion de la psychanalyse, les effets de la psychanalyse dans le discours social.

Est-ce fait aussi pour des raisons financières ?

On récolte de l’argent, oui.

Y a-t-il d’autres choses que vous voulez dire ? Le texte de Yasmine Grasser vous inspire quoi ?

En lisant son texte, je pense à la question des subventions, avec le risque de gérer le CPCT dans un sens commercial, comme une entreprise. Dès qu’on veut que la machine marche, on peut tomber dans ce travers. On est très affolé par les sous. Je ne suis pas convaincue que sans subventions, pas de CPCT, et pas de psychanalyse appliquée à la thérapeutique. Il faudrait revoir ça. Je n’y avais pas pensé avant de vous écouter, mais il pourrait peut-être exister un CPCT sans subventions.

Il vaudrait peut-être mieux, en effet, que l’École finance un très bon CPCT qui ne serait pas obligé d’aller chercher des subventions.

Oui, mais on était paniqué lorsque l’École a cessé de financer le CPCT, et il fallait trouver des moyens pour que l’expérience se poursuive.

Autre chose encore ?

Oui. Il faut nuancer tous les propos tenus sur le sujet supposé savoir au CPCT, le transfert au CPCT, parce que la plupart des patients, selon mon expérience, ce sont des sujets psychotiques très précaires au niveau des moyens symboliques. Un patient que j’ai reçu, le savoir supposé de l’inconscient le persécutait. Il y a plutôt une présence du corps de l’analyste, il n’y a pas la fonction de sujet supposé savoir.

Vous souhaitez donner une conclusion ?

Ce n’est pas la voie royale, mais cela peut être un des piliers de la formation, avec l’analyse et le contrôle individuel. Les cas auxquels j’ai eu affaire, même si je les avais étudiés dans le groupe clinique de contrôle, je les ai fait passer par mon contrôle individuel, et de nombreux collègues font de même. J’ai vu la différence. Il faut prendre le temps pour comprendre ce qui s’est passé, ne pas se précipiter à donner des réponses, et surtout ne pas attaquer les personnes ou l’expérience du CPCT, mais plutôt l’interpréter.

Propos recueillis le 16 octobre 2008