vendredi 17 octobre 2008

Entretien d'actualité n°6

Une contribution d’Esthela Solano ;

Éric Zuliani : Propos sur la passe

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

6

publié 74, rue d’Assas à Paris 6ème par JAM

le vendredi 17 octobre 2008 (2)

- CPCT-Lyon : cet établissement vient de m’adresser la brochure qu’il a réalisée en un temps record sur le plan que j’avais composé ce lundi pour l’électro-brochure de Bordeaux ; je ne crois pas pouvoir mieux saluer l’exploit qu’en me rendant à Lyon courant 2009 pour une Conversation sur la base de ce document, qui sera mis en ligne lundi prochain avec la brochure du CPCT-Bordeaux.

ESTHELA SOLANO : la zone d’ombre

Cher Jacques-Alain,

Je vous adresse un texte. Il ne me satisfait pas tout à fait, mais en ce moment je ne peux pas faire mieux. Je me suis rendu compte que cette affaire est un vrai serpent de mer. On croit qu'on l'attrape, et hop! il file. Ma contribution est très modeste, mais témoigne d'un effort authentique pour cerner la chose en jeu. Si vous considérez qu'il ne vaut pas grand chose, alors il peut rester dans mon ordinateur et ne pas être diffusé.

Très cordialement. Esthela

Tout le monde sait que la beauté est belle.

Voilà ce qui fait sa laideur.

Tout le monde sait que le bien est bien.

Voilà ce qui fait son imperfection.

Lao-tseu

Pour ou contre ? Diabolisation ou exaltation de ses qualités ? C’est le binaire qui semble traverser les esprits en ce moment ou notre débat se centre autour du phénomène CPCT. Il ne s’agit pas de décrier ses vices ou d’exalter ses vertus. Il me semble que par ce biais on n’arrivera pas à débrouiller ce dont il est question.

Alors ? Qu’est-ce que c’est ce dont il est question ? Et comment le cerner d’une façon qui soit digne, sans tomber dans le foisonnement de bavardages nous divisant au tour d’une ligne qui sépare d’un côté ceux qui sont pour et de l’autre ceux qui sont contre ? N’en faisons pas de ce débat un simple affrontement des groupes, car nous en ravalerons sa portée.

Il s’agit à mon sens de s’extraire de tout effet du pour, ou du contre, de toute consistance d’un " Nous ", qu’il s’agirait de défendre, afin de trouver une position juste, voire analytique. Cette position est celle de la solitude. De la solitude d’un " je " qui dit et qui ne peut pas dire qu’à la condition de s’arracher, de s’extraire de l’expérience elle même, de l’expérience de la chose CPCT.

L’expérience, je l’ai pratiquée, pendant 5 ans et demi. Je l’ai pratiquée et je l’ai soutenue. Je me suis avancée aussi, quand cela fut nécessaire, pour expliquer ses principes et donner raison, face à ses détracteurs, de sa justesse psychanalytique.

Je ne renie pas mon expérience. Elle a été très riche, et à chaque fois que j’ai eu à faire à la demande partant de celui qui souffre, j’en suis sorti enseignée. J’ai été aussi enseigné par mes collègues, à chaque fois qu’ils ont présenté un cas, exposant d’une façon très économique l’essentiel, prenant en compte les détails, formalisant les coordonnées du cas, démontrant à chaque fois, dans chaque cas leur façon de jouer la partie avec l’impossible en jeu.

Chacun a mis du sien et chacun a payé le prix de cette expérience donnant de son temps et de sa personne, sans compter.

Le sérieux était de mise. Je ne crois pas me tromper si je dis que chacun de nos collègues a fait preuve de vouloir aller plus loin, de ne pas se contenter par exemple de ce qui pouvait être élucidé à propos d’un cas lors de l’élaboration accomplit dans les groupes cliniques, demandant un contrôle pour mettre sous contrôle sa position dans la direction de tel ou tel traitement.

Je m’aperçois écrivant ces lignes, que je mets en valeur ici les effets positifs de formation issus de cette expérience. Oui, effets de formation indéniables, non pas parce que la pratique donne l’impression de se former, mais par ce que la pratique vient révéler comme défaut, comme faille, comme entrave, et sollicite, voire, pousse à celui ou celle qui est en position de praticien de chercher par le biais du contrôle ou bien dans sa propre expérience d’analyse à interroger son embrouille subjective.

Où est donc le problème ? Tel que j’analyse mon expérience et celle de ceux à qui j’ai eu à faire, on dirait qu’il n’y a en pas.

Cependant au fils des années, nous avons eu à faire à plus et plus de demandes. Et cela à cause de notre réussite. Il se trouve comme on peut le vérifier, que les sujets sortant du CPCT ont fait part de leur satisfaction à d’autres : amis, collègues, partenaires, membres de leur famille. Ils leur ont dit qu’il y a un endroit où l’on peut rencontrer un psychanalyste, que c’est gratuit et que c’est formidable ! Ou bien tel médecin ou tel éducateur ou telle intervenante sociale à dit à tel ou tel sujet en détresse de venir au CPCT. Aussi, quelques CMP ne pouvant plus avec certains patients, se sont débarrassée d’eux, les adressant au CPCT. On peut ainsi dresser une longue liste de différents cas de figure aboutissant à l’adresse du CPCT et dont le dénominateur commun est notre succès.

Il y a eu un effet " Apprenti sorcier " tel que nous pouvons le voir dans le film Fantasia de Walt Disney.

Quelque chose au niveau de notre succès nous a joué un mauvais tour. Comment je peux lire ce que j’appelle, " mauvais tour " faute de trouver un autre nom ? Je peux le lire à travers des effets qui se sont présenté pour moi comme des effets d’un trop plein qui de façon insidieuse a eu raison de mon désir.

Je m’explique. Non pas au niveau du désir en jeu à chaque fois que je recevais quelqu’un en consultation, ou en traitement. Non, je parle du désir en jeu au niveau institutionnel, au niveau du lien au collectif CPCT.

Je m’explique. Il ne s’agit pas du lien à chaque membre du CPCT dans sa singularité, il s’agit d’un ravalement du désir comme conséquence d’une forme de fonctionnement. Cette forme du fonctionnement à produit un certain nivellement de l’expérience, à notre insu. Je voudrais ici être précise, si je dis " nivellement ", je me réfère à quelque chose qui se met à courir derrière les exigences imposées par la réussite et qui va nous mettre les uns et les autres, à différentes places et à des degrés différents, à tourner une manivelle.

Je n’arrive pas ici à mieux le dire.

Je sais seulement que je ne suis pas allée chercher du plaisir au CPCT. Il faut être très malade pour le prétendre. Mais comme je suis une incurable, je sais que je ne peux pas bouger ni m’engager dans quelque action ou activité que ce soit, si je ne trouve pas un " plus de jouir ". Que ce soit clair, il ne s’agit pas ici d’aller me faire chatouiller cherchant le frotti-frotta du groupe. Il s’agit tout simplement de trouver que l’action est animée par un désir parce qu’il est corrélé à une cause. Ce rapport à la cause est incandescent quand il s’agit de psychanalyse. Et ce rapport à la cause se fait gain de plaisir si le désir se trouve dans son axe.

Il n’ y du désir que dans le rapport de chacun au plus singulier de son mode de jouir fondamental. Le régime du Tous ou Pour Tous, ne me convient pas, il massacre le désir.

Qui a dit qu’au CPCT on était dans le régime du Tout ? C’est mon corps qui l’a dit. Il s’est mis à ne pas vouloir se déplacer pour aller rue de Chabrol. Il est devenu lourd, très lourd. Il s’est mis à peser des tonnes.

Il a fallu que je fasse un trou, que je sorte. La sortie, je ne l’ai pas soumise à discussion, je ne l’ai pas communiqué avant de la prendre. Cela m’a été fort reproché. Il m’a été dit, une fois que j’ai ouvert la porte que je prenais la fuite quand le bateau s’est mis à couler.

Étant sortie, je suis devenue " extime ", dans une position d’intériorité extérieure. C’est depuis cette position, que je parle, pour interpréter mon errance.

Cette errance, je la prends comme étant de l’ordre d’une embrouille. Ce n’est pas une embrouille qui aurait lieu dans la pratique effective, celle qui s’accomplit auprès des patients au CPCT. C’est une embrouille qui m’a aveuglée comme étant un effet institutionnel, conséquent à la réussite CPCT.

Il me semble que ce dont il est question, c’est le réel en jeu dans la formation du psychanalyste. Comment on le cerne, comment on l’attrape ce réel ? Lacan a conçu la passe pour répondre à cette question.

La tension " passe/CPCT " est celle de la psychanalyse pure et de la psychanalyse appliquée.

Personne n’a songé à faire la passe au CPCT. Certes. Mais il est vrai qu’au fil du temps, il s’est imposé l’évocation de la passe dès lors que l’on parlait du CPCT ou vice-versa.

J’avais dit en 2006, lors d’un Séminaire animé par le Conseil de l’ECF, que compte tenu de l’arrêt de l’expérience de la passe à l’Ecole, à ce moment, on pouvait constater que la libido migrait vers le CPCT. Yasmine Grasser parle dans son texte paru dans ECF-Méssager, du CPCT comme ayant eu la fonction " de poumon " pour l’Ecole.

On est en droit de se demander si le poumon donne de l’air ou si le poumon pompe l’air. Jacques Alain Miller utilise le terme très juste de " pompe à libido " dans son interview.

Nous avons pâti, à mon sens, d’un recouvrement de l’impossible qui est au coeur même de la psychanalyse, par les effets unifiants d’une expérience qui nous a ébloui par sa face de réussite. Au lieu d’être vigilants, pour mettre à l’ordre du jour la façon dont on ratait, on s’est mis à être très heureux de la façon dont on réussissait.

Ceci étant dit, il reste une zone d’ombre, ou plusieurs zones d’ombre.

Nous allons avancer dans l’éclaircissement de cette zone d’ombre qui nous interpelle. Nous continuerons à explorer ses contours. Partant du fil du CPCT peut-être que nous serons conduits vers le centre, et qu’il s’imposera aussi une petite visite autour de la topologie de l’Ecole.

Éric Zuliani : propos sur la passe

Cher Monsieur Miller,

Je me permets de vous faire parvenir ce propos sur la passe, provoqué par vos deux interventions aux Journées de l’École.

Vous remerciant vivement de ce travail provoqué, bien cordialement, Éric Zuliani

J’ai éprouvé la nécessité d’examiner la manière dont s’est introduite la passe pour moi et les différentes places qu’elle a pu prendre. Je ne peux pas dire: "La manière dont je l’ai subjectivé", car bien qu’étant un élément diversement apprécié par moi depuis 18 années, elle reste comme opaque. Ceci est donc un document de travail qui permettra, pour moi-même, d’apercevoir quelque chose du "phénomène passe". Ce faisant, je m’aperçois que c’est au moment où, de manière décidée, vous examinez le "phénomène CPCT", que de mon côté j’éprouve la nécessité de dire quelque chose sur la passe: c’est la première fois.

Un phénomène élémentaire

L’élément "passe" s’est introduit de la bonne manière: par intrusion, provoquant la perplexité. JL Gault au début des années 90, balayant le programme prévu à l’une des soirées de son séminaire d’étude, nous parla longuement de la passe. Cela ne fut en rien du tout clair pour moi, mais cela eu de l’effet. Dans la génération analysante à laquelle j’appartiens, nous nous sommes mis à en parler. Nous passions, à l’époque, du temps en voiture à nous rendre à droite et à gauche et les séances de travail prévues étaient reléguées pour parler de la passe: de manière passionnée. Les Journées de la passe (les samedis à Paris consacrés à cette question) nous mobilisaient car elles participaient des lieux où l’on vient entendre des personnes parler de ce que l’on ne comprend pas. Mais il faut bien le dire, les personnes qui témoignaient parlaient aussi de ce qu’ils ne comprenaient pas – cela s’entendait -, mais avaient traversé une expérience. Je pense que ce sont ces deux éléments qui donnaient la brillance à la chose. Inversement, à une Journée universitaire, une personne avait fait un exposé sur la passe en précisant qu’elle n’en avait pas fait l’expérience: nul.

L’entrée à l’École

Pour autant, la passe s’était-elle inscrite dans mon analyse: oui, car je me disais que je ferai cette expérience et, à ce titre, elle avait une place; non parce qu’il y avait le "pas tout de suite". Cependant, la passe n’était pas alors inhibante ou écrasante. À la fin des années 90, je voulais faire ma demande d’entrée à l’École, sachant que je ferai alors la passe; cela était lié pour moi, c’est un fait. Plus précisément, je ne voyais pas comment on pouvait entrer à l’École autrement que par la passe. Je note ce lien que j’avais fait et qui est peut-être fautif, mais pas tant que cela, d’un certain point de vue. Car, en effet, quand il s’est agit d’entrer à l’École, la voie dite des titres et travaux ne m’a pas satisfait pour des raisons qui m’étaient propre, mais pas que: que rien ne me soit demandé, en termes d’exigence, sur mon analyse, ne m’a pas satisfait.

Une idée simple

Depuis lors, la passe ne fut pas inhibante au sens strict, mais moins désirable. Sur quoi puis-je fonder cette affirmation? Sur le fait qu’elle ne circule plus dans les paroles de chacun, amis et collègues, sur l’énigme de ce qu’elle est; énigme qu’on ne peut résoudre, je garde cette idée, qu’en position d’énonciation. Elle prend la forme à mes yeux, actuellement, de longs récits qui gardent une touche épique, et qui font, me semble-t-il, disparaître l’instant de la passe. Car en effet, la passe m’apparaît comme un instant, un moment crucial, et le récit fait plutôt consister la durée. Cependant, deux propos concernant la passe m’ont rebranché sur elle durant ces dernières années. Le premier, nous le trouvons sous votre plume, dans l’introduction de Qui sont vos psychanalystes?. Vous vous demandez en substance par quel tour de passe-passe on a réussi à présenter la passe au public comme une idée tordue de Lacan, alors qu’elle est très simple et logique. Le second fut dit par É. Laurent à la Journée hommage aux Lefort. Là, aussi en substance, il y évoquait les moments de passe. Ces deux propos m’ont confirmés que la passe est bien nécessaire et simple dans sa conception, et le pluriel l’a pluralisé, c’est le cas de le dire, et rendue à chacun et donc à moi pour commencer.

La passe, on ne sait pas ce que c’est

Pour terminer, il me semble que la passe fonctionne depuis un moment comme un élément apriori : d’une certaine manière on a une séquence passe puis s’y loge le témoignage. Le travail des cartels de la passe et des passeurs se fait, bien sûr, mais il n’est pas vraiment à ciel ouvert. Aussi, nous n’avons jamais à ciel ouvert le procès lui-même: du témoignage à la question de savoir si cela est une passe. En d’autres termes, il existe un certain nombre de "lieux"(cartel, rubrique de la LM, Journées, témoignages) appelés "passe", et s’y logent des choses qui du coup s’appellent "passe". Bref, il n’y a plus de lieux où peut se dire à nouveau: "La passe on ne sait pas ce que c’est; examinons des témoignages et on verra après si cela s’appelle la passe et pour quelles raisons."

Je m’aperçois à la fin de ce propos que JL Gault, au début des années 90, parlant de la passe, avait introduit cela: "La passe, on ne sait pas ce que c’est."