vendredi 17 octobre 2008

Entretien d'actualité n°5

Lettres arrivées dans la nuit :

Carole D.-La Sagna, Jorge Forbes, Cath. Lazarus-Matet, Marco Mauas

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

5

publié 74, rue d’Assas à Paris 6ème par JAM

le vendredi 17 octobre 2008

- Francisco Barreto, de Belo Horizonte, me ré-adresse le texte qu’il m’avait fait parvenir le 24 mars 2006, et où il exprimait – c’est son titre – " Un point de vue (discordant) sur le CPCT ". C’est en effet un travail qui mérite d’être lu, ou relu, à la lumière du débat actuel. Je l’adresse à Dominique Holvoet, de Bruxelles, pour qu’il soit placé sur le site forumpsy dans sa langue originale, et je fais appel aux bonnes volontés pour traduire en français cet article brésilien.

- Prochainement dans " Entretiens d’actualité " : une contribution d’Esthela Solano ; deux entretiens où j’ai interrogé successivement Francesca Biagi et Daniela Fernandez, toutes deux, comme Esthela, participantes actives à l’expérience du CPCT-Chabrol ; ma réponse à Jorge Forbes, en particulier sur mon " oubli symptomatique " concernant le colloque de Bahia ; un entretien à réaliser la semaine prochaine, où j’interrogerai Francisco Hugo Freda.

- CPCT-Antibes : la Conversation est actuellement prévue pour le 6 décembre ; j’invite Franck Rollier à associer à la préparation Marseille et Nice.

LETTRE DE JORGE FORBES

Cher Jacques-Alain,

Alors, je vois qu’après notre entretien, tu as obtenu une pluie de lettres : tu t’attendais à ça? Tu parlais de la demande, on dirait qu’il y avait une " demande réprimée "…

Je suis de nouveau à São Paulo, comme tu le sais, avec un décalage de cinq heures. Mais ce qui se passe à la surface du globe ne correspond pas à ce que se passe dans la géographie du Champ freudien : en face de la problématique actuellement soulevée, l’horaire est le même, pas de décalage. J’entends de bons échos par ici, il y a même du soulagement, je dirai.

Est-ce déjà le moment d’aborder la question de savoir quelle doit être la réponse des analystes en face de la gourmandise de l’Autre social ? Dans ton intervention du dimanche, tu as proposé comme réponse le retour au singulier, que chaque un parle de soi-même comme d’un cas : comment vois-tu ça aux prochaines Journées ?

Encore une question : pourquoi tu as dit à propos du Colloque qui a eu lieu à Bahia que tu as eu un oubli symptomatique?

Bien à toi, Jorge

LETTRE DE CATHERINE LAZARUS-MATET

Cher Jacques-Alain,

Consultante au CPCT de la rue de Chabrol depuis sa création, je ne peux pas, et n’ai jamais pu, penser un instant celui-ci comme éloignant de l’Ecole, ni de la psychanalyse pure, du simple fait que son âme, son esprit, son style sont fondés sur l’enseignement de Lacan, et sa création comme intimement liée à votre enseignement, votre volonté et votre clairvoyance politiques, tout cela noué dans notre cause commune que vive la psychanalyse lacanienne au XXIème siècle. Je n’y suis, au CPCT, que pour ces raisons. C’est même pourquoi j’y suis encore, alors qu’il conviendrait certainement de permuter.

Une fois écrit ce prologue formel, je crains la tendance à taper soudain à bras raccourcis sur la psychanalyse appliquée, qui a ses raisons et sa valeur, à démontrer bien sûr, ses limites aussi, et que vous-même ne condamnez, me semble-t-il, pas en bloc. Et qui a su faire exister la psychanalyse et son utilité publique à un moment précis de notre société, contre la horde des cognitivo-évaluateurs.

Le problème, c’est donc le succès de cette expérience et le risque que la psychanalyse pure encourt du fait de ce succès. Cette expérience particulière exige un goût pour la clinique sur le vif et un usage responsable et affûté des outils lacaniens. Sans une longue analyse et des années de formation, je ne serais pas en mesure de recevoir au CPCT, activité qui n’est qu’un aspect et un moment de cette formation qui permet de découvrir un champ clinique inédit et infini. La rencontre et la familiarisation avec la clinique des nœuds et la notion de sinthome, pour notre communauté, a peut-être favorisé une sorte de fabrique collective de solutions et inventions sinthomatiques rapides pour les patients du CPCT. L’a-t-elle fait pour les praticiens ? Je ne le crois pas.

Pour le congrès de Buenos Aires, j’avais fait part d’une enquête que j’avais menée auprès des AE et anciens AE de l’ECF sur l’Ics transférentiel et l’Ics réel. Il s’en dégageait en particulier que tous, sans exception, mettaient en avant la valeur inéliminable, nécessaire, dans leur parcours, de l’Ics transférentiel, bien qu’ayant vu leur propre analyse plus ou moins orientée selon l’Ics réel, et ce d’autant plus que leur nomination était plus récente.

Le branchement entre le dernier enseignement de Lacan et l’époque a peut-être court-circuité, ou risque de le faire, l’Ics transférentiel, au-delà des murs ouverts du CPCT.

Mais rien qui aille à l’encontre de la politique que vous dessinez pour l’Ecole et la passe. Je ne prétends pas avoir tout compris, mais je vois les entours des enjeux locaux et internationaux pour la psychanalyse et l’Ecole. Nous avons, pas tous sans doute, été vigilants à désigner les collègues du CPCT comme praticiens, et non pas analystes, dans les textes destinés à la publication, et à une large diffusion. Tout en affirmant en même temps, quand même, pratiquer quelque chose d’analytique. Il y a donc un problème de lexique, de langage, de dénomination, qui traduit la présence d’une question quant à la formation au CPCT. Doit-on dire qu’on y forme des praticiens de l’Ics réel ? Ça n’irait pas tout à fait. Je vois dans ce trou de notre lexique une raison du réveil que vous suscitez.

L’Ics transférentiel reste inéliminable dans la formation des analystes, mais la question du désir de l’analyste noue transfert et réel. C’est donc bien à l’Ecole que revient d’être le lieu de ce nouage, de ce lien. Ce qui n’ôte pas la valeur de ce qui se fait au CPCT, mais suppose, ce qui se savait déjà, qu’il n’est pas le lieu de l’Ecole.

Quant aux subventions, certes, elles nous ligotent obligatoirement, mais néanmoins quelle victoire, par les temps qui courent, que de les obtenir par la valeur même de notre acte ! Euh, non… de notre pratique, de notre expérience !

Bien à vous, Catherine

LETTRE DE CAROLE DEWAMBRECHIES-LA SAGNA

Cher Jacques-Alain,

Voici mon texte pour samedi, sur le thème : " Quelle place (pour le CPCT-Bordeaux) dans le Champ freudien ? " Je peux encore ajouter, si vous le souhaitez.

À vous, Carole

PS : nous aurons fini les corrections de la brochure vendredi en début d’après-midi.

Pourquoi ne pas utiliser ce concept de Lacan pour ouvrir cette question : le " pas-tout "? Les CPCT ne doivent pas prendre toute la place dans le Champ freudien. Si cela a besoin d’être dit, c’est que le mouvement propre du CPCT va vers l’extension et comporte qu’il prenne toujours plus de place. Il y a à cela une raison logique : face à l’indigence de la psychiatrie et des pouvoirs publics à certains égards, des demandes multiples émergent et s’adressent aux CPCT, toujours plus nombreuses. La psychanalyse que les services de psychiatrie ont accueillie pendant des décennies y est maintenant traquée par les évaluateurs. La psychanalyse est donc cherchée ailleurs : dans les cabinets des analystes mais pas seulement.

Le CPCT implique donc, pour ne pas disparaître dans le sans fond de cette demande, une rigueur spéciale et un sens de la limite, indispensables pour garder son orientation.

Cette limite doit s’exercer sur la demande sociale. On n’augmente pas à l’infini le nombre de rendez-vous pris au CPCT.

Il faut aussi sans doute limiter la place que les CPCT pourraient prendre dans le Champ freudien : ils n’ont pas vocation à s’y étendre à l’infini non plus.

Pourtant le CPCT est aussi un effet de la formation de l’Institut du Champ freudien.

La grande majorité des intervenants du CPCT-Bordeaux a participé ou participe toujours à la Section clinique de Bordeaux, au titre de participants anciens, de chargés de cours parfois, d’enseignants. La Section clinique de Bordeaux consacre la première Session de chaque année d’enseignement à la lecture d’un Séminaire de Lacan et la deuxième à un grand thème clinique. S’y articulent un séminaire pratique avec études de cas et une présentation de malade.

Les consultants du CPCT de Bordeaux ont, pour la très grande majorité d’entre eux été formés à la Section clinique de Bordeaux qui fonctionne depuis 1991. Ils y ont appris le diagnostic des structures cliniques, outil indispensable de toute consultation.

Dans le groupe d’élaboration de cas que j’anime avec Daniel Roy, nous avons travaillé, par exemple, un cas présenté par Catherine Vacher, médecin de formation : la jeune fille qui vient la voir au CPCT dans les suites d’une plainte pour viol s’avère faire probablement part d’une expérience délirante dans laquelle ces expériences d’intrusion se répètent. Les catégories différentielles de névrose et de psychose ont ici une place privilégiée dans l’éclairage du cas.

Donc dans le Champ freudien, le CPCT n’est pas un îlot autonome qui vit en autarcie. Il est au contraire articulé de la plus étroite façon avec les instances du Champ freudien, l’Ecole et la Section clinique.

L’articulation du CPCT à l’Ecole tient déjà dans le fait que, parmi les intervenants du CPCT-Bordeaux 23 sont des membres de l’Ecole (sur 29 membres de l’ECF dans la région aquitaine). Certains consacrent au CPCT 1h par semaine ou tous les 15 jours (les consultations), d’autres 2h tous les quinze jours (les groupes d’études cliniques), certains, moins nombreux, davantage de temps.

Tous les intervenants ont fait une longue analyse avec un analyste de l’Ecole, cette analyse est aussi parfois encore en cours.

Une autre articulation de la Section clinique de Bordeaux et du CPCT a été formulée comme projet pour un avenir proche : un Atelier de Psychanalyse Appliquée (APA) va être mis en place à la Section clinique de Bordeaux, atelier qui formera dans de petits groupes des étudiants choisis sur candidature et susceptibles de prendre en charge, dans l’avenir, des traitements au CPCT.

Ces étudiants sont des analysants engagés qui veulent une formation théorico-clinique à partir des concepts de Freud et de Lacan avec étude de cas et de textes. L’APA, fonctionne à Paris depuis 2001 et il y a deux ans, Jacques-Alain Miller ouvrait la possibilité de la création d’un APA à d’autres villes. La Section clinique de Bruxelles a ouvert un APA il y a deux ans, par exemple.

Bordeaux va faire fonctionner prochainement un APA : il sera le noyau du futur CPCT Lien social.

Le CPCT apparaît donc comme étroitement articulé à l’Ecole et à la Section clinique. Il faudrait ajouter l’ACF et l’association psychanalytique Aquitania. La création du CPCT à Bordeaux parait historiquement et logiquement liée à la formation clinique et psychanalytique d’une génération. Le CPCT est un des moyens de rendre présente la psychanalyse à l’époque où les grandes institutions qui l’accueillaient précédemment lui ont fait défaut et l’ont attaquée. En cela, il est un élément du Champ freudien.

LETTRE DE MARCO MAUAS (Tel-Aviv)

Cher JAM,

J'ai beaucoup apprécié le commentaire de Gustavo Dessal sur votre entretien avec Jorge Forbes. Toutefois, je crois qu'on peut distinguer deux axes.

1- Le premier, c'est l’axe où il signale avec Gershom Scholem la dérive mortelle des juifs d'Europe à partir de la tentation de se faire reconnaitre pour l'Autre social. C'est la tentation de "parler la langue de l'Autre" en oubliant la langue privée. Joyce a dépassé cette tentation en arrivant à tisser la langue de l'Autre comme rumeur parasite. Lacan, selon votre enseignement, situa même la psychanalyse comme une rumeur dont il voulait nous faire écouter seul le bruit.

2- Le second axe, c’est là où il dit: " Ce que je déplore, là aussi une fois de plus, c'est que de telles réflexions ne puissent être entendues par notre communauté que lorsque c'est vous qui les énoncez. " Si je comprends bien, il ne s'agit pas seulement de réflexions, mais d'événements – et même d’événements de corps (dans le corps de l'Ecole?). Vous parlez du CPCT-Chabrol comme d’un CPCT-boulimique. La question est de savoir quand une boulimie collective arrive à angoisser chacun à son tour.

On a donc l'axe de l'Autre et l'axe de l'excès, de l'objet. Peut-on séparer dans le débat ces deux axes? Peut-on démontrer leur croisement? L'essentiel pour moi est d’où chacun trouve à s'orienter dans ces phénomènes, aussi avec la boussole de sa propre angoisse du : "C'est trop !".

Bien a vous, Marco Mauas