jeudi 23 octobre 2008

Entretien d'actualité n°10

Une contribution de Pascale Fari ;

Irène Krassilchik : On devient psychanalyste pour poursuivre son analyse

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

10

publié 74, rue d’Assas à Paris 6ème par JAM

le mercredi 22 octobre 2008

- Info-École : à l’initiative du Bureau, F.H. Freda, Francesca Biagi, Dominique Miller et Pierre Naveau se sont réunis hier soir avec J.-A. Miller pour une première discussion sur les Journées 2009. À la demande de J.A. Miller, sera étudiée la possibilité de remplacer la Salle Bleue par la Grande Salle du Palais des Congrès (1.800 personnes) ; un premier dossier sur les Journées sera publié dans la LM de février. Sur une idée de D. Miller, il a été décidé que les rubriques des salles simultanées seront consacrées à des thèmes inspirés de la Psychopathologie de la vie quotidienne : rêves ; actes manqués ; lapsus ; oublis symptomatiques ; etc. On y témoignera de son rapport à l’inconscient, et de sa façon d’en lire les formations. Références : l’ouvrage de Freud qui porte ce titre, plus la Traumdeutung et le Witz. P. Naveau prendra rapidement contact avec les ACF. J.A. Miller préparera un programme de six conférences pour la rue Huysmans, lesquelles débuteront en janvier. Cette information est diffusée avec l’accord du Bureau de l’École.

- Info-Champfreudien : le groupe Recalcati a démissionné de l’École italienne et de l’AMP (aujourd’hui à 14h30).

- Erratum : l’organisatrice de la prochaine Journée CPCT à Bruxelles est Monique Kusnierek.

***

Le phénomène CPCT, symptôme de l’ECF ?

par Pascale Fari

Cher Jacques-Alain Miller, je vous adresse quelques-unes de mes réflexions à propos du débat salutaire que vous avez ouvert sur le "phénomène CPCT".

1. Subventions et exigence de réussite

Le nombre d’intervenants du CPCT-Chabrol qui consacrent une grande partie de leur temps à la recherche de subventions en tant que telle n’est pas, je crois, si élevé que cela. Pour l’unité "ado" à laquelle je participe, 2 personnes (sur 15 au total environ) s’en occupent, me semble-t-il. En revanche, il m’apparaît maintenant évident qu’une logique de la réussite pèse fortement sur nous. Pour une part, celle-ci est corrélée à la volonté politique initiale de démontrer, dans un contexte d’attaques virulentes et répétées, l’utilité de la psychanalyse (appliquée) dans le champ social. D’autre part, on a peu de chances, de nos jours, d’être crédibles - et donc en effet sollicités et a fortiori subventionnés… - en prônant la valeur incontournable du ratage dans la psychanalyse. "Il faut que ça marche". Ainsi, animant un atelier de conversation dans "la classe la plus difficile" d’un collège situé dans une "banlieue difficile", je me suis plus d’une fois retrouvée en train de me casser la tête pour essayer d’imaginer des stratégies face aux impasses et aux résistances rencontrées. Et donc prise alors dans le "il faut que ça marche" du discours du maître que vous épinglez dans "Vers PIPOL 4".

Parmi les membres de l’équipe B, cet impératif de réussite pèse d’autant plus lourdement qu’ils sont susceptibles de permuter. C’est là l’une des racines, me semble-t-il, d’une aspiration vers l’activisme et la surcharge. Car, oui, nous avons tous - ou presque tous - voulu, jusqu’à présent du moins, rester au CPCT. Non seulement parce que c’est un lieu de formation formidable et unique, mais aussi à cause de la valeur agalmatique que le CPCT a, un temps, représentée dans l’École (cf. infra § 3).

Vous l’avez encore rappelé le 13 septembre, les effets de groupe, lot commun de toute institution, existent aussi dans l’École, y compris quant à la passe et à ses versions successives. La question est donc bien de savoir, comme vous l’avez également rappelé dimanche dernier à Bordeaux, ce qui les favorise et ce qui est à même de les faire déconsister.

Je rejoins donc ici les remarques de Catherine Lazarus-Matet et d’Esthela Solano relatives aux pièges du succès et celles de Gustavo Dessal quant aux avatars du désir de reconnaissance. Même si vouloir se faire reconnaître par l’Autre n’est pas superposable au fait de parler sa langue : Primo Levi faisait valoir que parler l’allemand était un facteur de survie dans les camps.

Après coup, le titre de la dernière journée du CPCT, Exigence de réussite, retentissement des échecs, résonne peut-être un peu autrement. De même que celui de la deuxième journée, il y a trois ans : Psychanalyse et précarité : une question posée au CPCT.

2. Le CPCT et la "formation des jeunes"

Bien des choses ont déjà été relevées concernant la formation, ses lieux, sa temporalité, ses ressorts, etc. Je n’aborderai ici qu’un seul point, paradoxal.

Je ne crois pas souhaitable de débuter sa pratique clinique au CPCT. Comme vous l’avez souligné, celle-ci requiert en effet un repérage de sa propre position ainsi qu’un certain vidage de son rapport au savoir. Elle requiert aussi d’avoir un tout petit peu cerné ce qui nous anime dans notre pratique et dans notre rapport à la cause analytique. Autrement dit, un certain temps d’analyse - même si la durée ne constitue ici nulle garantie. D’autre part, et compte tenu du public qui s’adresse à nous, avoir une petite idée de la psychose et de la pratique avec des sujets psychotiques s’impose aussi. Les risques de modélisation de la pratique, de sa réduction à des savoir-faire, me semblent d’autant plus grands que ces conditions ne sont pas réunies.

Or, l’Atelier de psychanalyse appliquée (APA) et le CPCT ont précisément vocation à contribuer à la formation des "jeunes générations", et, de ce fait, au renouvellement des membres de l’École. Les deux premières promotions de l’APA ont accueilli des membres des ACF et de l’Envers, voire de l’École, engagés dans le Champ freudien et pratiquant en institution (et/ou en libéral) depuis plusieurs années. Les promotions suivantes sont nettement plus jeunes : certains participants ont commencé leur analyse depuis moins longtemps, et/ou n’ont pas ou très peu de pratique clinique avant leur arrivée au CPCT. Pourtant, c’est bien d’eux qu’il s’agit quand on parle des "jeunes générations".

3. Le symptôme CPCT ?

Même si c’est évident, je crois nécessaire de souligner que l’expansion du CPCT-Chabrol et la multiplication des autres CPCT sont le produit du discours sur le(s) CPCT qui a circulé dans notre champ ces dernières années. Et ce, dans le contexte de la demande de reconnaissance de l’utilité publique de l’ECF - dont chacun s’accorde à reconnaître la pertinence et le bien-fondé. L’AMP a désormais inscrit dans ses statuts la création de centres de consultations gratuites. Sous cet angle, l’Autre de la demande pour le(s) CPCT, c’est bien l’École et le Champ freudien.

Le "discours CPCT", qui a parfois pu crisper ceux qui ne participaient pas à ladite "expérience", s’est appuyé à l’occasion sur certains de vos propos. Mais, comme vous l’avez fait valoir, il a surtout pris corps de l’"enthousiasme inopiné" suscité par l’expérience elle-même. Un enthousiasme et une libido qui semblaient parfois endormis : c’est bien avant la création du CPCT que l’on déplorait régulièrement la faible fréquentation des soirées de l’École, celles des AE en particulier. Il n’en était pas ainsi lors des toutes premières soirées auxquelles j’ai assisté, en 1995.

Et, même si c’est aussi trivial, il me semble également utile de souligner que l’engouement pour la psychanalyse appliquée à la thérapeutique dans notre champ est précisément en écho au malaise et au discours contemporains, à l’apparente raréfaction des demandes d’analyse émanant de sujets névrosés, à la montée en puissance des demandes d’améliorations symptomatiques à court terme au détriment du déchiffrage et de la causalité psychique, etc. Un collègue ne rapportait-il pas récemment avoir été frappé du nombre de cas de psychose présentés lors des dernières Journées de l’École ?

Dans cette perspective, le phénomène CPCT se lirait comme un symptôme de l’ECF. Un nouveau symptôme, bien contemporain ?

J’aurais souhaité pouvoir être plus brève. Or, j’aurais bien des choses à dire encore. Sans doute un signe de "l’air frais", comme vous dites, que vous avez introduit en ouvrant le présent débat. Mais aussi du désir et de l’enthousiasme - aussi symptomatiques soient-ils - que l’expérience CPCT suscite toujours en moi.

Bien à vous.

On devient psychanalyste pour poursuivre son analyse

par Irène Krassilchik

" On devient psychanalyste pour poursuivre son analyse ". J’ai lâché cette phrase devant vous, avec désinvolture, comme une évidence, et vous m’avez demandé de développer l’idée par écrit. Je vais tenter de le faire, sachant par avance qu’il ne s’agira pas d’un texte "théorique". Cependant, le plaisir de me lancer dans l’écriture de ce petit texte a levé assez vite l’obstacle narcissique.

Entrer en analyse, c’est pénétrer dans un autre monde : celui du transfert, un mode de relation totalement inédit, où rien n’est envisageable à l’avance, mais où la vérité du désir se dessine au fur et à mesure que les mots se disent, que les signifiants apparaissent, et où l’étonnement et la surprise sont la règle : combien de fois des phrases d’apparence quelconque ont déclenché chez moi des émotions, des bouleversements inattendus ! Cet autre monde est aussi celui où l’analyste ne s’intéresse pas à ce que l’on est, mais à ce que l’on dit ; pas non plus à notre savoir, mais au trou dans le savoir, le réel, où se niche notre manque.

Puis, un jour, après bien des années, une certaine vérité sur le mode de jouir
de l’analysant (moi) s’établit, libérant de la répétition du symptôme.
On se sent se détacher de son analyste, on aime bien la personne, on continuera peut-être à lire ses livres, mais quelque chose du mode de relation exceptionnel qui nous a réunis cesse. Il en restera longtemps des traces, notamment sous forme de rêves, l’analyse ne s’arrêtant pas avec la fin des séances mais se prolongeant bien au-delà des rencontres avec celui qui a su nous entendre.

Peut-être, là, quelque chose demeure de ce qui a chu, passage de témoin faisant relais : le signifiant " analyse " persiste, avec, qui sait ? le risque de devenir symptôme, symptôme de remplacement…

Curieusement, me vient à l’esprit le souvenir de mai 68. Je n’étais plus étudiante, et pas encore en analyse. Mais mai 68 a été à l’origine du premier changement important de ma vie : la libération du langage, le largage des conventions, la modification des rapports avec les autres, la formulation des fantasmes, la possibilité, en somme, de découvrir un autre mode de relation au monde m’a ouvert les yeux sur une autre façon de vivre. Que tout soit ensuite rentré dans l’ordre, comme il se doit, a laissé chez moi des traces de rejet d’un discours qui serait celui du maître.

Alors, donc, notre analyse cesse.

L’inconscient, lui, est toujours là, et l’on sait désormais plus ou moins reconnaître ses manifestations en soi, et en rire (ou rire avec lui, comme avec un vieux complice.) Mais comment renoncer à le fréquenter ? Tâche bien douloureuse.

La solution qui s‘offre à nous est de reproduire l’expérience de sa rencontre avec d’autres, en devenant analyste, en restant, en quelque sorte, sur les lieux où la langue nous a ouvert des perspectives différentes, imprévisibles.

Lieux, mais aussi temps : celui-ci est sorti de sa trajectoire habituelle, le temps fait des détours, passé et présent ne sont plus des valeurs figées, l’un et l’autre se renvoient la balle, là encore l’étonnement bouleverse l’idée qu’on se ferait d’un parcours logique. Et comment croire que la psychanalyse se termine avec la fin de la nôtre ? Comment ne pas avoir envie de la réinventer chaque jour, avec chaque patient ? Et comment renoncer à la surprise : surprise de l’analysant, surprise de l’analyste auquel chaque patient apprend quelque chose de nouveau ?

On devient analyste. On essaie, en tout cas. On ne se sent pas encore capable de voler de ses propres ailes, de s’autoriser de soi-même. Les " quelques autres " sont heureusement là, le " contrôle " existe, nécessité incontournable dans la solitude choisie de l’analyste. Et les collègues, les cartels. On ne peut se résoudre à quitter cet univers où le supposé savoir sait qu’il ne l’est pas, où le discours du maître n’a pas cours, où juger autrui est impensable.

On a rencontré l’autre face du discours, où aucun savoir déjà établi ne circule, pas plus chez l’analysant que chez l’analyste, mais se construit au fur et à mesure que l’insu se faufile entre les mots.

On persiste à rester analyste, malgré les difficultés du quotidien, notamment l’incompréhension d’un métier qui, pour certains, s’apparente à la voyance et, pour d’autres, au traitement des " fous ". Malgré, aussi, et cela me semble plus grave, le risque d’une adhésion trop forte au conformisme rassurant d’une institution.

Devenir analyste, ce n’est pas, comme le donne peut-être à penser mon texte, rêver d’entrer dans un monde merveilleux où l’on deviendrait des êtres sages, modestes et silencieux.

Ce qui m’a fait essayer de passer de la position d’analysant à celle d’analyste est le souhait de demeurer, en effet, dans un univers différent, mais où, malgré la dissymétrie entre les deux places, la possibilité de se dessaisir pour un temps du savoir serait commune, autorisant alors la survenue pour l’un, le maintien pour l’autre, de la vérité du désir.