vendredi 14 novembre 2008

Entretiens d'actualité n°15

Contributions de Dalila Arpin, Philippe De Georges, Éric Laurent,

Jean-Loup Morin, Simone Souto et Angèle Terrier

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

15

le jeudi 13 novembre 2008

- PIPOL. Je me suis aperçu qu’il était parfois indiqué par erreur que l’acronyme PIPOL, que j’ai créé en 2002, signifierait : "Programme international de psychanalyse appliquée d’orientation lacanienne". Il abrège en fait l’expression : "Programme International de Psychanalyse d’Orientation Lacanienne". Ce "programme" ne privilégie nullement les applications de la psychanalyse à la thérapeutique ; il entend promouvoir la psychanalyse dans son ensemble. Cette erreur est évidemment signalétique. JAM, le 5 novembre 2008

ÉRIC LAURENT : Qu’est-ce que "le psychanalyste du CPCT" ?

Cher Jacques-Alain,

J’apprends beaucoup à lire les "Entretiens d’actualité", au nom bien choisi. Au-delà de la qualité de chacun de ceux qui travaillent au CPCT, au delà des "effets de groupe" repérés par Daniela Fernandez, mon attention a été attirée par l’usage répété d’un syntagme: "le psychanalyste du CPCT". Qu’est-ce donc?

D’après les contextes d’usage, on peut lui donner deux qualités. D’une part, il existe; d’autre part il n’est vérifiable par aucune expérience connue. En ce sens, il est à l’envers du "psychanalyste de l’École", qui se définit de ne pas exister (" Le psychanalyste n’existe pas "), et donc de n’être vérifiable que dans l’expérience prévue à cet effet (la passe). Pour autant, tous les analystes dans l’École ne sont pas "de l’École".

"L’analyste du CPCT" serait-il vérifiable par ses œuvres (ses résultats), il courrait alors le risque d’être "nommé à…".

À toi.

Le 24 octobre 2008

Jean-Loup Morin : Ne pas minimiser la présence effective demandée au CPCT

L'orientation que vous donnez aux "Entretiens" me convient tout à fait. J’ai pu constater à Nantes qu’ils ont déjà eu des effets Certains collègues se disent soulagés qu'un tel débat ait lieu. D'autres découvrent un caillou dans leur chaussure. Quelques-uns seulement feignent l'indifférence.

On ne saurait minimiser la présence effective demandée au CPCT. Ici, outre les deux heures hebdomadaires de consultation ou de traitement, il nous est demandé deux réunions tous les mois, de deux heures, chacune, plus une participation, dimanche compris, à des rencontres avec les représentants locaux de diverses associations. Plus la tenue du secrétariat téléphonique en l'absence de la secrétaire à mi-temps, lors des congés annuels. Plus la tenue de la comptabilité du CPCT sur le temps des consultations. Vous voyez, cher Jacques-Alain, que nous sommes encore loin du compte.

Tenez bon, et à bientôt.

Le 3 novembre 2008

Angèle Terrier : Quelle formation pour les jeunes praticiens au CPCT ?

Cher Jacques-Alain Miller,

Le débat que vous avez ouvert sur le CPCT me réveillait la nuit jusqu’à ce que je décide de vous écrire. En cela, il est salutaire, car il me pousse à témoigner des effets de formation obtenus pour moi à partir de l’expérience CPCT. Je souhaite aussi vous dire que ce coup de frein que vous donnez me soulage beaucoup.

Cette formation a commencé il y a exactement 7 ans quand je suis entrée à l’APA à l’invitation des enseignants de l’Université Paris 8 auprès de qui je venais de soutenir mon DEA de psychanalyse. Je n’avais jamais écrit et présenté de cas en dehors de l’intimité des séances de contrôle, commencé un an avant après avoir obtenu mon premier poste de psychologue à l’hôpital psychiatrique. La séquence de casuistique au programme de l’APA m’initia à l’écriture du cas et à sa discussion en assemblée.

À la suite de ces deux années d’étude à l’APA, je suis entrée au CPCT de la rue de Chabrol ouvert 6 mois plus tôt. Prenant la mesure de la chance inouïe que j’avais de m’y former, je me suis impliquée sans compter dans les activités cliniques du Centre, et tout aussi bien dans les tâches administratives liées à son fonctionnement.

C’est de cette chance inouïe dont je veux rendre compte en deux points :

1) D’abord, celle d’avoir été choisie pour participer à la Contre-expérience qui réunissait quatre analystes très expérimentés, ayant fait la passe, et huit plus jeunes collègues, en formation.

La présentation du cas, séance par séance, avec l’accent mis sur les interventions de l’analyste en formation, est un exercice qui pousse à la rigueur et à la précision. Mais bien au-delà, quand ces quatre analystes très formés saisissent, chacun à leur manière, l’embrouille subjective de l’analyste en formation, je peux vous dire que cela a des effets qui renvoient directement au divan et au travail de l’inconscient.

2) Ensuite, celle d’avoir participé à la construction d’une Unité avec un analyste qui a été AE.

Travailler de manière très serrée avec quelqu’un qui sait de quoi est fait son être d’objet a est une expérience difficile mais très riche. En effet, c’est se former auprès de quelqu’un qui, de par son expérience analytique, est devenu un réel. Et tenir bon face au réel met inévitablement sur la voie de son désir.

En cela, l’expérience CPCT a été pour moi davantage qu’une formation clinique car elle a accéléré quelque chose dans mon expérience analytique. Ce quelque chose est de l’ordre du désir de savoir sur la partie qui se joue pour moi quand j’ai affaire au réel. Ainsi, je peux témoigner que mon passage par le CPCT a affirmé mon désir de faire un jour la passe.

Je vous remercie vraiment beaucoup d’avoir provoqué ce débat qui se présente comme un réel pour le CPCT-Chabrol.

Bien cordialement.

Le 29 octobre 2008

Dalila Arpin : L’analyste-technicien

Le moment de réflexion actuel sur l’action des CPCT nous amène à nous poser une question concernant la position du psychanalyste. Certes, nous n’avons pas eu la prétention de croire qu’on serait formés en tant que psychanalystes dans le cadre d’une pratique restreinte à 16 séances et sans frais pour le patient. Cependant, un trait de la formation à la psychanalyse appliquée au CPCT me semble avoir été la dérive qu’elle pouvait prendre à être réduite à un savoir faire, un savoir technique. Centré sur le bénéfice thérapeutique à court terme, le désir de l’analyste au CPCT est devenu la volonté d’obtenir un effet thérapeutique. L’accent étant mis sur l’amélioration et l’allègement de la souffrance, l’analyste " s’appliquait " à empêcher l’ouverture de l’inconscient et le développement du transfert. Avec le temps, nous sommes venus à établir que si un patient souhaitait continuer le travail entamé au CPCT, il était conseillé de l’adresser à un autre collègue, quitte à qu’il soit lui aussi membre du CPCT. Encore une fois, nous tenions compte de l’Autre social : accepter de continuer le travail en dehors du centre nous mettrait sous le soupçon de faire du " clientélisme ". Le transfert était avec le CPCT et non pas avec nous.

Au moment où j’ai intégré le CPCT, au début de l’expérience, j’entendais par cette action y mettre un petit caillou dans la chaussure lourde et fracassante des TCC qui avançaient à pas de géant. Ré-donner goût à la psychanalyse à certains sujets qui n’avaient pas eu l’occasion de la rencontrer ou qui avaient pu faire des mauvaises rencontres dans le passé était un beau projet, trop beau même pour être vrai. Mais très vite cela s’est transformé en une " mise à jour " de la psychanalyse et surtout, en une adaptation voulue aux idéaux de notre époque : travailler bien, en peu de temps et à moindre coût. Puis, travailler à chaque fois plus pour gagner toujours rien.

Ce temps de réflexion interprète notre expérience et nous interprète. Le temps est venu de veiller à ne pas rejoindre ce qu’Eric Laurent appelle " psychopathie de l’évaluation " (Lost in cognition, Nantes, Ed. Cécile Défaut, 2008) : les tentatives de faire passer les psychothérapies psychanalytiques comme valables compte tenu de leur faible coût.

Simone Souto : Le CPCT de Belo Horizonte

Cher Miller,

Tenant compte du moment actuel et comme responsable de la coordination du CPCT-MG, je voudrais vous donner quelques nouvelles à propos de la façon dont le CPCT a fonctionné à Belo Horizonte, ainsi que vous dire quelques mots sur comment je comprends, jusqu'à ce moment, la fonction que le CPCT peut avoir pour l'École.

Le CPCT à Belo Horizonte participe, d'une façon effective, de l'EBP-MG. Il est inclus statutairement dans l'institution constituée par l'EBP-MG et sa coordination est soumise, autant au Directoire qu'au Conseil. Le CPCT-MG est soutenu par l'EBP-MG et par l'IPSM-MG et fonctionne dans le même siège, ce qui permet que les coûts de maintenance de son fonctionnement soient bien modestes et ne surchargent pas le budget, ni de l'École, ni de l'Institut. Nous ne recevons aucun type de subvention.

L'équipe du CPCT-MG est composée par les membres de l'EBP et les adhérents qui ont voulu participer de cette expérience, quelques correspondants et 8 stagiaires (élèves de l'Institut que, pour l'instant, ne reçoivent pas de patients et participent seulement des discussions de cas et réunions générales). Autant les correspondants que les élèves de l'IPSM-MG ont été selectionnés, par la coordination, parmi ceux qui se sont distingués et qui maintiennent un lien de formation avec l'EBP-MG. L'équipe du CPCT-MG compte 60 personnes et, malgré le fait que ce soit une équipe relativement grande, chacun n'est disponible qu'une heure par semaine pour sa pratique au CPCT. Ceux qui participent à l'équipe de traitement reçoivent un ou deux patients. Nous avons deux activités mensuelles: une réunion de discussion de cas qui se réalise en petits groupes et une réunion générale où nous réalisons discussions cliniques et de questions relatives au fonctionnement. Nous comptons, aussi bien, avec des séances de contrôle individuel qui peuvent être sollicitées à n'importe quel membre de l'École qui fasse partie de l'équipe de consultations du CPCT-MG. Le Séminaire d'Orientation Lacanienne, où nous accompagnons et discutons les élaborations faites par vous dans votre cours à Paris, fait partie de la formation permanente de l'équipe du CPCT-MG.

Donc, à mon avis, le CPCT-MG vient se sommer aux actions déjà existantes dans l'EBP-MG et l'IPSM-MG dans le contexte de l'action lacanienne, et il ne me semble pas que, ici, à aucun moment, l'investissement dans le CPCT ait pris de proportions exagerées, ni signifié une réduction de l'investissement et de la participation des personnes dans d'autres domaines de la vie de l'École ou même de l'Institut. Nous observons plutôt le contraire. Le CPCT a introduit un certain mouvement qui a renouvelé le transfert de travail parmi nous.

Ainsi qu'à d'autres endroits, le CPCT n'est pas une unanimité et je ne pense pas qu'il faut qu'il le soit.

Dans mon opinion, situer le CPCT, dans ce qui se réfère à l'application de la psychanalyse à la thérapeutique, comme une expérience, est fondamentale, puisque ça veut dire que nous ne pouvons pas manquer de mettre à l'épreuve les résultats que nous sommes capables de produire, aussi bien en ce qui concerne les traitements que dans ce qui a une relation avec les effets produits par cette expérience dans la formation des praticants et encore dans notre relation avec l'Autre social. Dans ce sens, je considère ce débat, promu par vous actuellement - qui a des résonances importantes parmi nous - très bien venu.

Je suis d'accord avec une prudence quant à la conception de la place que le CPCT occupe par rapport à l'École. Nous ne pouvons pas faire du CPCT un lieu d'autorisation et, en ce qui concerne la formation, il faut laisser claire que, dans le domaine de l'École, l'expérience avec la psychanalyse appliquée ne substitue ni ne se superpose à celle qui résulte de la psychanalyse pure, c’est-à-dire, à celle de l'analyse personnelle et de la passe. Ce qui ne veut pas dire que, ayant nous assuré de cela, nous ne puissions pas reconnaître la contribution que la pratique au CPCT peut avoir dans la formation clinique de ceux qui en participent. Ceci dit, si d'un côté il faut faire attention pour que, comme vous avez bien signalé, la croissance des CPCT ne finisse pas par ronger le discours analytique, je pense aussi que nous ne devons pas reculer devant la possibilité, propiciée par l'expérience du CPCT, de recueillir les conséquences de l'introduction du discours analytique dans le domaine du discours universel.

Ainsi, à mon avis, dans l'expérience de la psychanalyse, ce qui peut produire des gains épistémiques et contribuer à la formation des analystes pour faire vivre la psychanalyse au XXIe siècle c'est justement notre disposition à recueillir, de la pratique de la psychanalyse, ce que nous ne savons pas encore. Ceci à un rapport, autant à la psychanalyse appliquée qu'à la psychanlyse pure. J'espère que nous soyons capables de maintenir ouverte cette béance qui peut nourrir notre souffle.

Finalement, je voudrais vous dire que nous sommes en train de programmer, dans le CPCT-MG, pour décembre 2008, une Journée interne, dans laquelle nous souhaitons faire une évaluation de notre fonctionnement et discuter les questions soulevées par vous sur les CPCT. Nous aimerions pouvoir compter sur votre présence. Si vous voulez bien accepter notre invitation et si ce mois ne vous convient pas, nous voudrions envisager avec vous une autre date qui rende possible votre présence parmi nous.

Bien à vous.

Le 21 octobre 2008 (reçu le 30 octobre)

Philippe De Georges : Un temps de comprendre pour nous tous

Notre dernière conférence institutionnelle rouvrait le vaste chantier de la formation des psychanalystes, en le situant dans le contexte du XXI° siècle. Le conseil de l’Ecole, sur l’impulsion de son président, s’attache ainsi à ce que tous les membres de notre association élaborent une politique qui nous permette de faire face à tous les défis de l’heure. Les débats ont essentiellement tournés autour du ou des CPCT, confirmant à la fois l’intérêt de chacun pour cette expérience encore nouvelle et le souci de tous de s’assurer qu’une dérive n’y soit pas engagée, qui porte atteinte rapidement à l’Ecole, et à travers elle, à la psychanalyse. Diverses contributions ont ainsi amené Jacques-Alain Miller a affirmer la nécessité d’un audit de l’Ecole sur les CPCT. Il a depuis suscité une réflexion très large, qui prend la forme des " Entretiens d’actualités " sur le net et qui conduit les différentes équipes qui se sont lancées dans l’aventure à organiser des journées de travail (la première, à Bordeaux le week-end dernier, la prochaine à Antibes le 6 décembre…) auxquelles il se trouve invité. C’est donc un temps de comprendre, pour nous tous, où l’on peut déjà repérer les questions les plus vives qui se font jour.

Nomination

Dans un des premiers textes diffusés (Entretien d’actualité numéro 4), Yasmine Grasser évoque un cas clinique qui lui permet de présenter son point de vue à partir de l’expérience concrète de la Rue de Chabrol. Son point de vue est d’autant plus intéressant qu’elle fait partie de ceux qui ont pris part au projet depuis son lancement. Elle est aussi ancienne AE, comme nombre de ceux qui ont initié l’entreprise et apportent aujourd’hui leur éclairage au débat. Il est bon de noter à cette occasion que les récits les plus démonstratifs que nous avons pu entendre à ce jour, concernant la clinique des CPCT, émanaient d’anciens AE, ceci expliquant sans doute cela. Du cas dont elle nous fait part, j’isolerai un fragment :

" Une jeune fille se présente à son 1er rendez-vous au CPCT en demandant s’il n’y a que de la psychanalyse parce que c’est justement ce qu’elle ne veut pas faire.

Je rectifie et pondère disant : il n’y a que des psychanalystes, mais ici ils ne proposent pas de cure analytique, d’ailleurs en 16 séances, c’est impossible.

Elle poursuit plus que bien informée : mais vos psychanalystes sont des psychanalystes en formation ? Je réponds : absolument, tous les psychanalystes du centre sont en formation, c’est-à-dire que chacun est engagé dans son expérience analytique personnelle et aussi se forme toujours un peu plus chaque fois qu’il rencontre quelqu’un pour la première fois car aucune souffrance, aucun symptôme ne ressemble à un autre, et à chaque fois le problème à résoudre à deux est différent ".

" Il n’y a que des psychanalystes ". C’est bien le problème. Cette formule vaut à mes yeux comme une nomination, d’autant plus performative qu’elle vient d’une ancienne AE. Là où l’Ecole use de la plus extrême prudence, renvoyant dans son annuaire les Analystes Praticiens à leur seule autorisation pour un terme que l’Ecole ne fait que transcrire, le risque existe que le CPCT devienne un lieu où l’on nomme des psychanalystes. N’est-ce pas précisément le risque que signale Dominique Laurent, quand elle parle d’effet " pousse à l’analyste " ? Et n’est-ce pas ce à quoi on assiste, lorsque dans les journées ouvertes où quelques cas sont exposés, l’intervenant du CPCT relate la moindre de ses interventions (" l’analyste dit "…), qualifiée, en raison de ses échos chez le patient, d’ " acte analytique " ?

Il me semble que ce qui opère alors est une vaste confusion, qui n’est qu’un des aspects de ce que j’appelai sur ECF-débats, avant l’élection du Conseil, le risque de CPCTisation. La responsabilité n’en incombe pas aux intervenants novices en question, mais à nous, qui sommes, comme toujours, animés des meilleurs intentions. Ainsi, dans l’entretien passionnant entre Jacques-Alain Miller et Francisca Biagi-Chai (Entretiens d’actualité numéro 9) : " Je les appelle "analystes", ou "analystes en formation". Je n’ai pas envie que l’on fasse un clivage interne. Je dis "analystes en formation" : ils sont jeunes "….

S’agit-il d’un clivage interne, dont il faudrait se garder, ou d’un glissement dans l’usage d’un signifiant ?

Formation

Car avec le signifiant qui vient ici représenter un sujet pour un autre signifiant, il faut souligner que cet autre est justement l’Autre social, avide de titre et de qualification. D’où le lien intime entre nos réflexions sur les CPCT et la question de la formation dont le Conseil de l’Ecole, autour d’Hugo Freda, se préoccupe depuis son entrée en fonction.

Certes, il s’agit de penser cette question à nouveaux frais, c'est-à-dire à l’heure de la post-modernité. Mais pour autant, beaucoup a été dit déjà sur ce point, dont il faut tenir compte et qui devrait être tenu pour acquis. Je pense ainsi à une communication faite par Jacques-Alain Miller au local de l’Ecole, à la fin des années quatre-vingt, dégageant la logique lacanienne de ce qu’est cette formation…qui n’en est pas une. On l’a rappelé ces jours derniers, c’était l’objet d’un numéro de la revue La Cause freudienne, numéro 52, intitulée " La formation entre guillemets des psychanalystes ". Tout est dans ces guillemets, qui disent que l’analyste est le produit d’une cure, et non d’un cursus !

Là encore, la confusion reste possible. Je relève ainsi dans les propos d’un collègue intervenant lors de la JAM-SESSION au CPCT de Bordeaux, le 18 octobre 2008 : " devenir psychanalyste n’est pas se former qu’à la clinique (…) mais aussi à une autre dimension, celle de l’acte analytique dont l’audace (et l’horreur) ne s’apprend pas du tout de la même manière ". Mais où s’y forme-t-on, et comment ? Faut-il ici préciser que l’horreur de l’acte est référée par Lacan à ce que l’analyste sait, de ce que son désir résulte de sa cure, des moments de passe qu’il y a traversé et des effets de destitution subjective qui leur sont corrélés ! Et c’était dit pour notre gouverne il y a exactement cinquante ans, dans l’année 67-68 du Séminaire.

Sans doute sommes-nous tous d’accord sur le fait que ce qu’il faut bien qualifier de formation n’est jamais que la somme ou la série disparate d’un chapelet d’effets de formation : lectures, travail, séminaire, rencontres, échanges, expériences, pratiques…qui ne tirent leur valeur que d’avoir pour centre ou pour fond l’expérience personnelle de la cure pure. Sans doute faut-il cependant le redire.

Clinique

Une des originalités essentielles des CPCT réside dans l’élaboration permanente des cas. A Antibes, Franck Rollier a adopté la forme mise au point Rue Chabrol. Aussi parlons-nous de Clinica, pour désigner de petits groupes, qui de fait ont la structure de cartels, où chacun de nous présente et soumet à la discussion les cas de sa pratique. Pour aucun d’entre nous, ces clinica ne sont des moments de contrôle. Pour un contrôle, ceux qui le veulent peuvent rencontrer l’un des membres de l’Ecole de son choix. Mais en groupe, nous tâchons d’élaborer l’expérience pas à pas : diagnostic, enjeu des consultations initiales, possibilité de proposer un traitement, dégagement du point qui sera le cœur de cible de celui-ci, moments tournants, interventions du praticien, objectifs et visées de celles-ci, conclusion, suite…Les récits de cas d’IRMA (Ornicar ? n° 40, notamment p. 5 et 6) nous ont servi de paradigme. Je crois pouvoir affirmer que cela a des effets de formation, aussi bien pour les consultants du groupe A que pour les intervenants du groupe B, ici mêlés et échangeant ensemble avec aussi peu de souci de prestance que possible, aidés par un collègue (de l’Ecole) assumant la fonction de plus-un, et pas de contrôleur.

Sélection

La plupart de ceux qui ont écrits ces jours-ci (je pense à Esthela Solano et à Alain Merlet particulièrement) font sentir comment les CPCT pourraient être aspirés par l’Autre social en raison même de leurs succès. La pente est alors que le travail administratif absorbe notre temps au détriment de la construction clinique, que les demandes affluent au point de pousser à recruter à l’aveuglette de nouveaux intervenants, que la quête des subventions fasse rentrer par la fenêtre les exigences d’évaluation contre lesquelles nous militons. Car il ne suffit pas de dire que nous nous évaluerons nous-mêmes et selon nos critères : il n’y a pas d’exemple que cela soit possible ! C’est celui qui paie qui contrôle, et les critères sont donc nécessairement et tôt ou tard les siens. Il y a donc urgence à préciser les critères sur lesquels chaque direction de CPCT choisit ceux qui y entrent. Le règlement de Rennes est sans doute une possibilité, même s’il n’est pas transposable tel quel à d’autres villes. Mais on entend bien l’importance que les praticiens des CPCT aient été ou soient en analyse, chez des membres de l’Ecole, et en contrôle éventuellement ; qu’ils aient pris part suffisamment longtemps aux activités des sections cliniques et du Cercle-Uforca ; que l’avis de l’analyste soit pris…

Il y a deux ans, l’idée avait été lancée que chaque ville où une section existe, ainsi qu’un CPCT, mette en place un lieu de nouage (Atelier de Psychanalyse Appliquée, idéalement). Une telle structure permet à Uforca de mettre ses moyens au service du CPCT, sous la forme d’une formation spécifique mais non suffisante. L’idée de généraliser les APA n’ayant pas eu de suite (sauf, on l’apprend aujourd’hui, pour Bordeaux), la section clinique de Nice met en place un séminaire ad hoc qui tâchera de remplir cette fonction.

Suspension

Pour conclure provisoirement, je souhaite dire à quel point je suis partie prenante de l’expérience des CPCT, désireux qu’elle réussisse, convaincu de l’intérêt de cette nouveauté. Nous commençons à récolter ses fruits, qui contribueront à l’initiation des analystes de demain et dont le matériau clinique va modifier à terme la pratique psychothérapique en générale. Je suis attaché en même temps à ce que l’Ecole garde son souci du soc tranchant de la psychanalyse. Tirer de l’expérience tout ce qu’elle peut donner ne justifie ni d’imaginer que l’analyse pure va s’en trouver transformée (ça a été dit), ni la passe ; ni que l’invention du traitement court, limité et gratuit équivaudrait à celle de la séance courte par Lacan ; ni que tous ceux qui n’y prennent pas part doivent être ringardisés, comme gardiens fossilisés de dogmes éculés ou défenseurs frileux d’un modèle passéiste. Sinon, c’est Racamier qui aurait eu raison, avec ces Analystes sans divan, et tous ceux qui accusaient et Lacan et l’Ecole de proposer une analyse " pure et dure " : éloge de la mollesse et de l’impureté, sans doute…

Il n’est pas inutile de se souvenir que l’IPA s’est engagée très tôt dans les voies que lui ouvrait l’Autre social : l’ Université et ses chaires prestigieuses, mais aussi le Secteur XIII° et toutes les formes d’intégration dans le système de soins et de guidance. La machine a triomphé de la psychanalyse orthodoxe, en l’endormant sous les honneurs et la reconnaissance, les titres et l’argent. A force de respectabilité, les maîtres d’hier ont rendu les armes, cédant sur les concepts, les principes, la doctrine. Ils n’existent même plus, à présent.

Notre devoir n’est-il pas celui d’une contre-expérience ?

Le 20 octobre 2008

publié 74, rue d’Assas à Paris 6ème par JAM

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