vendredi 21 novembre 2008

Entretiens d'actualité n°19

Une contribution de Didier Kuntz

Antonia Gueudar Delahaye : Le CPCT, obscur objet de désir

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

19

le jeudi 20 novembre 2008

DIDIER KUNTZ : De la misère à l’ivresse du pouvoir

Très cher JAM,

Cela a été pour moi une bonne surprise, un soulagement, qu'il y ait une réaction au recouvrement momentané, mais problématique, de l'école – son fonctionnement, sa structure hiérarchique – par le mouvement en spirale des CPCT et de leurs promoteurs.

Manque et misère

Cette spirale est déterminé par l'emplacement de son point central, qui est la misère, finalement l'aporie, le manque.

ça manque. ça manque de lieux pour entendre pour les institutions et pour le social – ça manque de psychanalyste pour les victimes de l'exclusion générée par la structure des différents lieux d'accueil – ça manque de patients pour les jeunes ou les futurs psychanalystes – ça manque de vitrine d'exposition pour la psychanalyse, de lieu d'épreuve du discours analytique à opposer méthodiquement aux évaluateurs – ça manque de lieu pour dire l'utilité de la psychanalyse et sa loyauté à l'égard de la société et de ses lois – et, pour finir, ça manque d'argent pour faire tourner les CPCT.

Cette question de l'argent, par le biais de la subvention, a été le point exquis qui a révélé la limite à partir de laquelle les CPCT courent le risque de sortir du discours analytique pour répondre à la demande sociale, institutionnelle étatique, et à son hystérie de l'urgence.

Voilà pourquoi ces Entretiens sont très précieux : ils nous montrent que les acteurs des CPCT ne sont pas massivement prêts à faire le "n'importe quoi" de convenance pour laisser les CPCT se développer à la manière de nodules cancéreux, ainsi qu'il est attendu.

Impossible de former du psychanalyste à partir des CPCT

Il n'est pas très étonnant que la question de la différence ou de la limite entre la psychanalyse pure et la psychanalyse appliquée pointe immédiatement le bout de son nez, puisqu'il est impossible de former du psychanalyste à partir des CPCT, même si ces lieux peuvent se trouver sur le parcours de la formation de psychanalystes.

Après tout, il y a vingt ou trente ans, lorsque nous commencions à exercer, beaucoup d'entre nous se sont trouvés dans la situation d'avoir à opérer des déplacements de leur pratique, et cela a permis qu'un psychanalyste soit présent dans des cadres pas tout à fait ad hoc (formation, actions auprès de publics ciblés), mais pourtant compatibles alors avec l'accueil et l'opérativité de certains registres imaginaires et symboliques. Des psychanalystes étaient là à l'oeuvre pour provoquer les sujets à sortir de cette position de plaideurs souffrants à laquelle contraignent certains lieux d'accueil (de vie, de soins, d'entraide, de rencontre...).

Par la suite, de nouvelles exigences institutionnelles d'évaluation, de chiffrage, d'affaiblissement des coûts, se sont interposées entre eux et ces publics (à la fois causes et cibles de toutes ces interventions), pour finalement éliminer leur présence du terrain et laisser en plan de nombreuses questions..

Les psychanalystes disparus

J'ai eu l'occasion de discuter avec Jean-Pierre Klotz, qui est passé me voir il y a quelques jours. Je lui ai dit que je pensais que vous aviez quelques coups d'avance, que vous vous doutiez de l'évolution que suivraient les CPCT.

En effet, on connaît les fonctionnements sociaux au niveau de la demande de subvention – qui s'effectue au coup par coup, où il s'agit de monter des coups pour des publics très restreints et de dénomination précise. Et ce sont les conditions mêmes qui ont provoqué la disparition des psychanalystes un peu partout depuis vingt ans.

On voit bien ce qu’a coûté à la psychanalyse l'erreur faite par Michel Rocard, en signant les décrets d'applications de la loi de 1985 : elle a pour effet que fort peu de psychologues se dirigent vers la psychanalyse, et qu’ils le font plus tardivement, avec une capacité de lecture sans doute moins bonne. Massivement, ils se dirigent vers les TCC qui les digèrent en deux ans.

Jean-Pierre m'a dit que vous n'aviez pas particulièrement prévu ou anticipé ce qui se passe. Quoi qu'il en soit, vous avez réagi au bon moment et au bon endroit. J'ai bien aimé l'argument des Lyonnais, small is beautiful, et qu'on les laisse rester petits...

Argent et vérité

Les CPCT ont fait apparaître que le scandale, le point de butée, c'est le fait d'avoir quelque chose à payer de sa poche pour rencontrer quelqu'un qui puisse être un opérateur de changement. Ce fait, il va falloir réussir à l'intégrer dans une réflexion globale sur la place de l'argent dans la symbolisation du désir au niveau des idéaux collectifs.

En effet, courir après les subventions, (une fois enrayé les processus de prolifération cancéreuse), n'est rien d'autre qu'un acting out. Quelle est la situation ? Le sujet se refuse à payer pour son désir, et tous les acteurs du système lui mentent – le psychanalyste aussi – en soutenant qu’il peut s’en passer, le conduisant ainsi à la misère, ou l’y fixant – j'ai assez travaillé dans le milieu de la misère pour le savoir. Cela conduit le sujet à se défausser de la vérité de son symptôme, même si le psychanalyste prétend qu'il ne saurait en être question.

C’est en fait un tour de passe-passe entre manque et profit : on vise un profit pour la psychanalyse au prix d'un relâchement éthique. Le sujet devient juste l'occasion de faire savoir que la psychanalyse existe, il ne sert qu'à sa représentation.

Pour produire cette publicité, on se met à courir derrière le plus-de-jouir de la subvention. Cela rapporte à l'Etat une tranquillité certaine du côté des psychanalystes, les subventionnés du moins – et les autres, on les oublie.

C'est à cela que, très salutairement, vous avez réagi, je crois. Est-ce qu'on en est toujours et encore à se compter?

L’ivresse du pouvoir

Vous avez réagi au bon moment et au bon endroit – mais qui d'autre, ayant réagi, aurait été entendu ?

Je me demande aussi quelle est la part de normalisation que votre intervention provoque en questionnant la dérive.

C'est tout de même franchement infect que la fuite en avant dans le "struggle for life" institutionnel ait pu avoir lieu dans des CPCT, où pourtant toutes les conditions de reprise, de contrôle et d'analyse sont en place. Cela fait bien voir que les CPCT peuvent être de l'Ecole, mais que l'Ecole ne peut être réduite aux CPCT, ni chienne, ni soumise.

De manière plus générale, il est tout de même remarquable que les problèmes de pouvoir et d'ivresse du pouvoir prennent autant de place dans l'Ecole.

Vu de loin, on dirait que dans l’École, le savoir n’est qu'un outil adéquat à acquérir du pouvoir. Et, comme toujours dans ce cas, c'est un pouvoir qui ne sert qu'à maintenir un semblant à la place du manque-à-savoir.

C'est une caractéristique de cette École, non? Et qu'il faudrait changer, je crois.

Bien à vous.

Le 6 novembre 2008

ANTONIA GUEUDAR DELAHAYE : Le CPCT : obscur objet de désir

Nombre de ceux qui se sont exprimés à ce jour dans ce débat sont, à un titre ou un autre, impliqués dans l’expérience CPCT. Ce n’est pas mon cas. Mon regard est donc extérieur. Pour autant, comme beaucoup d’autres je n’ai pas échappé, d’une certaine manière, à "la pompe à libido" que vous évoquiez. Je me réfère à ce que Daniela Fernandez résume par "Tout le monde voulait en être".

Il me semble que cette situation est pour une grande part le produit du discours qui a été véhiculé sur le CPCT, discours qui a pu donner le sentiment, comme le relève Alain Merlet, "que le phénomène CPCT a été un instant porté aux nues dans l’Ecole". A cela vient également s’ajouter l’opacité entourant les modalités d’accès au CPCT : on ne sait comment les "jeunes générations" sont appelées à y participer. Ainsi, il m’a été donné d’entendre que, pour entrer au CPCT, il fallait passer par l’Atelier de psychanalyse appliquée "qui s’adresse la crème de la crème", et être psychologue.

Les témoignages de ceux impliqués dans cette expérience me confirment pourtant dans l’idée que le CPCT tel que conçu à Chabrol est (ou pourrait être) un formidable instrument de la formation clinique (étant entendu qu’elle n’est pas toute la formation de l’analyste). Non pas par la transmission d’un savoir-faire modélisable et réductionniste, mais bien au contraire parce que le dispositif ouvre à une discussion clinique, comme à la Section clinique, et avec une différence notable de celle-ci : la discussion concerne un acte dont le praticien porte la responsabilité. Et je ne pense pas que, pour autant, il en soit "soulagé". Je crois au contraire qu’il faut un certain courage et une responsabilité assumée pour soumettre son acte au regard et au débat collectif.

Aussi, il me semble regrettable que cette expérience ne soit réservée qu’à quelques heureux élus dont les modalités de sélection demeurent opaques, beaucoup d’autres se trouvant réduits à une forme de "bricolage" de leur formation clinique.

Faut-il renoncer aux subventions ?

J’ai travaillé pendant plusieurs années dans une grande fédération du secteur associatif (15 000 adhérents ; 10 millions d’euros de budget). L’une de mes missions était la coordination des subventions. C’est à la lumière de cette expérience que je fais part ici de quelques éléments de réflexion.

Au travers des différents témoignages, je retrouve les deux principales problématiques qui préoccupent le monde associatif depuis des années : la chasse aux subventions et le risque d’être instrumentalisé, pire de perdre son âme en répondant aux exigences (notamment évaluatives) des financeurs.

Une solution serait en effet de régler le tout en bloc en envoyant au diable les subventions et de poursuivre l’activité par un financement via l’Ecole.

Je voudrais juste souligner qu’au-delà de l’apport économique, le financement public présente également un versant politique. Il a valeur de reconnaissance par la puissance publique et contribue à la visibilité de la structure, de son action, voire de sa cause. C’est aussi, une façon de pointer les failles d’une politique publique et l’occasion de s’inscrire comme un partenaire incontournable, et de ce fait de le faire à ses propres conditions. Il s’agit là d’une inversion du rapport de force qui se joue non pas au niveau techno-administratif de la gestion des subventions mais dans une négociation avec le politique.

Alors quelles sont les autres solutions envisageables pour échapper à la course effrénée aux subventions ?

A mon sens celle-ci tient essentiellement au financement sur projet qui est une tendance engagée depuis longtemps et qui ne cesse de s’intensifier avec le tarissement des deniers publics et les lois de décentralisation qui ont eu pour effet de multiplier les acteurs publics. Le financement sur projet signe également le glissement de la position de financeur vers celle de commanditaire.

Une première voie consiste à desserrer la contrainte en confiant la fonction "recherche de financements" à une personne (salariée ou bénévole) afin de décharger les opérationnels (ici les consultants) de cette activité chronophage.

Mais la véritable alternative serait de pouvoir compter sur un financement global et pluriannuel du projet associatif dans son ensemble (activité et fonctionnement). Or, de tels financements existent. Ils s’appuient sur des conventions avec l’Etat, appelées conventions pluriannuelles d’objectifs (CPO). Celles-ci supposent un dialogue avec le politique visant à convaincre de l’utilité sociale du projet associatif, ce qui nous ramène au point précédent. Dans cette partie le CPCT me semble disposer d’atouts non négligeables : (1) son expérience et son "succès" qui valent pour preuve de son utilité sociale ; (2) sa filiation avec l’Ecole qui bénéficie de la reconnaissance d’utilité publique et de celle du ministère de la santé comme un des principaux acteurs du champ de la santé mentale.

Quant au risque de se faire prendre dans les filets de la demande, des valeurs, des normes, du discours du maître, il me semble illusoire de penser pouvoir totalement s’en exonérer. Tout financement suppose une contrepartie, a minima d’avoir l’assurance que les fonds ont bien été utilisés à l’objet pour lequel ils ont été accordés. Lorsque c’est le projet associatif qui est financé, comme dans les conventions pluriannuelles d’objectifs, un compte-rendu d’activité suffit en général. En revanche dans le cas des subventions sur projets la situation est plus complexe car souvent ces derniers s’apparentent à des prestations de service notamment lorsqu’ils reposent sur des appels d’offre : puisque le projet est censé répondre à la demande du financeur, difficile ici d’échapper à ses exigences.

Je conclurai sur l’un des enseignements de mon expérience de la recherche de subventions : il est sinon facile du moins possible de ne donner que ce que l’on veut bien donner. Je dirais qu’en la matière, le discours du maître c’est un peu comme avec le symptôme, la question est de "savoir y faire".

PUBLIÉ 74 RUE D’ASSAS À PARIS 6è PAR JAM

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