vendredi 14 novembre 2008

Entretiens d'actualité n°16

F.H. Freda avec J.-A. Miller (suite)

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

16

le jeudi 13 novembre 2008 (2)

LA CLINIQUE AU CPCT

J.-A.Miller – "Je suis d’accord, me disiez-vous la semaine dernière, pour reprendre la discussion sur le point précis de votre interprétation."

F.-H. Freda – Oui. Que s’est-il passé au CPCT du point de vue clinique, concernant le traitement même des patients ? Dans un premier temps, il fallait mettre en place comment entendre ceux qui arrivaient. Très rapidement, je me suis aperçu qu’il y avait des points de vue différents, les uns centrés sur des critères que je dirais structuralistes, dans le sens "névrose, psychose et perversion", et d’autres sur des critères centrés sur ce que pouvait être la psychose ordinaire. En même temps, apparaissaient couramment des notions issues de votre enseignement sue le Séminaire sur Joyce, Le Sinthome. Petit à petit, ce qui s’est révélé de plus important, c’était la présentation des cas cliniques : comment présenter le cas pour qu’il soit lisible pour tout le monde ? C’est ce qui s’est fait dans les réunions mensuelles, où je mettais l’accent sur les effets de l’intervention de l’analyste. Il fallait clarifier les effets de l’intervention elle-même.

Ce moment a duré longtemps, pour que l’on trouve une façon de présenter, d’interpréter, avec les discussions sur l’orientation du cas : quelle était la structure ? quel phénomène se présentait ? y avait-il une résolution de ce qui était la première demande ? Il se dégageait une façon d’orienter les choses, mais – je me souviens avoir parlé de cela, à la fin de mon mandat, avec quelques collègues, surtout Serge Cottet – il manquait un deuxième moment : il fallait aller au-delà d’une compréhension "phénoménologique" du cas pour entrer dans sa compréhension la plus intime. Dès le début, et cela s’affine au fur et à mesure que l’on avance dans le travail, c’est l’importance de rencontrer un psychanalyste qui apparaît. Que va donner la rencontre avec un psychanalyste ?

Pour le patient, rencontrer un psychanalyste, ce n’est pas la même chose que de rencontrer quelqu’un d’autre. C’est une rencontre assez unique. L’idée du traitement, c’était les effets que produisent pour quelqu’un de rencontrer un psychanalyste. Cela ne se confond pas avec le fait qu’il s’agisse véritablement d’une psychanalyse. Personne ne doutait un seul instant qu’il ne s’agissait pas d’une analyse, mais du bénéfice que le patient pouvait tirer de rencontrer un psychanalyste, et cela marquait dans de multiples cas : un avant et un après. Ce n’était pas toujours positif, ça pouvait ne rien donner, mais ça n’a jamais été une rencontre indifférente.

Vous avez évoqué le fait qu’il y avait sans doute un pouvoir de suggestion. Nous cherchions à repérer s’il y avait des moments de suggestion, ou des moments transférentiels. Il fallait mesurer la portée transférentielle, parce que l’on savait que l’on ne pouvait continuer à l’infini. Il ne fallait pas emballer une machine pour, après, laisser tomber le patient. C’était un souci important du suivi de chacun des cas. Voilà l’interprétation que je fais du moment clinique.

QUELQUES CRITIQUES

Il y a neuf jours, je vous demandais de prendre en compte, quitte à les moduler comme vous l’entendez, les critiques qui avaient pu être formulées. Pouvez-vous dire de quelle façon vous prenez en compte ces critiques ?

J’y ai réfléchi. Le CPCT, c’était un moment particulier, et le produit, comme je vous l’ai dit, d’une longue histoire, que l’on peut même retracer. Je pense à 1996, quand il y a eu Angers, Arcachon, toutes ces séries de mouvements que vous avez animées, et qui donnent comme résultat, entre autres, l’Atelier de psychanalyse appliquée, en 2001. Il y avait là une nouvelle clinique. Quand on module, on reformule les choses comme vous l’avez fait, à partir des surprises de la psychose, des inclassables, etc., il y avait là un courant clinique tout à fait nouveau, auquel j’adhérais énormément, et vous savez pourquoi – à partir de mon travail sur la notion des nouvelles formes du symptôme. Donc, il y a eu le moment de l’Atelier de psychanalyse appliquée, et deux ans après, en 2003, le CPCT.

Le CPCT était le laboratoire qui mettait en pratique et à l’étude cette série, et, je dirais presque, sans le savoir. Je m’aperçois aujourd’hui que l’on mettait en pratique ce qui était travaillé pour penser la clinique un peu autrement, et de la rencontre avec un psychanalyste. Ça a été fait, sûrement avec beaucoup de défauts, des incohérences, qu’il faut modifier.

Oui, mais quelles sont les critiques qui ont retenu votre attention ?

Ce qui a retenu mon attention ? On s’est demandé si on prêtait attention à la clinique, par exemple. Je pense qu’il y a là un point à considérer : avons-nous été attentifs à différencier la psychanalyse appliquée et la psychanalyse pure ? Je ne pense pas que l’on a fait de la rencontre avec un psychanalyste la même chose qu’une analyse.

Une autre critique porte sur le nombre de personnes. On a dit que le CPCT aspire l’énergie de tous ceux qui sont à l’intérieur du CPCT. Est-ce que je peux considérer que ça s’est passé comme ça ? Le souci, à l’époque, c’était le lien à l’École. On a peut-être cru qu’il y avait quelque chose qui laissait l’École en panne par rapport à ce que l’on produisait au CPCT. Est-ce que je peux le constater aujourd’hui ? Franchement, je pense que, peut-être, il faudrait trouver une articulation différente, s’il doit y avoir une articulation. L’avons-nous cherchée, cette articulation ? L’avons-nous trouvée ?

Pourriez-vous préciser ce que vous avez cherché ?

Par exemple, il y a quatre ans, quand l’École a proposé un séminaire sur la psychanalyse appliquée, il n’a jamais été question de ne pas le faire. Des membres du CPCT y ont participé, ou l’ont animé. Il me semble qu’il fallait être présent.

Une critique que vous avez faite concerne le fait de demander des subventions, c’est-à-dire le lien avec l’État, et les conséquences que ça pouvait avoir. Effectivement, il y a là un point central, dont nous avons été conscients, et auquel nous avons été très attentifs. On savait pertinemment qu’il pouvait y avoir des dérapages majeurs, que l’on pouvait être soumis au contrôle et à l’évaluation. J’ai averti à maintes reprises les collègues de l’École et le Conseil d’administration du CPCT de ce risque-là. C’est pour cela que, quand on répondait à des appels d’offre, on faisait très attention au système d’évaluation qu’ils nous demandaient, savoir si on pouvait ou pas. Je regardais ça de près, pour savoir si on pouvait répondre aux exigences. Puis, on mesurait jusqu’à quel point on pouvait ou non accepter, ou demander. Là, il y avait un choix radical à faire. Ou alors, on est complètement libre et indépendant, et il faut trouver le mode de financement ailleurs, ou même faire payer les patients - mais on avait opté pour la gratuité. D’un autre côté, on n’avait pas la possibilité de dire : nous avons 90 000 euros tous les ans, qui assurent le minimum. Ai-je mis trop l’accent sur ce point-là ? J’avais l’obligation d’assurer le fonctionnement économique du CPCT à moyen terme. Aurais-je pu faire autrement ?

RÉDUIRE LA VOILURE

Depuis la semaine dernière, on m’a communiqué, et j’ai cherché, un certain nombre d’informations dont je ne disposais pas lors de notre entretien précédent. Je commence par un élément extrêmement simple – d’ailleurs, tout est simple. J’ai reçu ce matin par la poste un envoi de Fabien Grasser. Il m’adresse à ma demande les procès verbaux des Assemblées générales du CPCT. Ils sont établis par Luis Solano, et signés par les responsables qui ont à le faire. Je n’ai pas eu le temps de regarder ces documents dans le détail, je me suis contenté de prendre le premier, en date du 6 juillet 2004, et le dernier, du 9 juillet 2008.

Le 6 juillet 2004, l’Assemblée du CPCT est réunie rue Huysmans. On y signale la présence d’un "invité spécial", JAM – j’avais oublié ça. Nous en sommes alors au 14ème mois de fonctionnement du CPCT. Quelqu’un – il semble que ce soit vous – dit : "Les 600 consultations au CPCT à ce jour provoquent une inquiétude certaine dans la direction". À cette date, le budget prévisionnel 2004 est de 62 600 euros, et il est indiqué que : "Les subventions publiques jusqu’à ce jour sont restées autant de promesses", ce qui veut dire qu’à cette date, le CPCT ne fonctionne encore qu’avec la subvention de l’ECF. Il y a toute une page où sont notés mes propos sur la clinique au CPCT, et sur les différentes questions abordées. J’en extrais cette phrase : "Mon avis est qu’il faut réduire la voilure, (…) réduire notre voilure pour pouvoir fonctionner convenablement."

Je prends maintenant l’Assemblée du 9 juillet 2008, quatre ans plus tard. C’était juste avant les dernières grandes vacances, il y a quatre mois. Le rapport d’activité et de gestion est présenté par Fabien Grasser. Il y est dit : "1 400 demandes ont été traitées. 530 nouveaux traitements ont été engagés. Il y a actuellement 90 intervenants, dont 45 membres de l’École, 10 en formation à l’ECF, 35 provenant de l’Atelier de psychanalyse appliquée." Il est aussi indiqué, je cite, que "les groupes de contrôle clinique passent de 16 en 2007 à 28 en 2008" : c’est 75 % d’augmentation en un an. "L’Unité-ados trouve un nouveau local en devenant Point d’accueil-Écoute jeunes." Il y avait un local, maintenant il y en a deux : doublement. Le total du bilan 2007 est équilibré à 154 772 euros.

Si l’on rapproche ces deux documents, est-il excessif de conclure que l’avis que j’avais formulé en 2004 à votre invitation n’a pas été suivi ?

Je me souviens très bien de ces deux réunions. La direction de l’époque a pris très au sérieux la question de comment faire pour réduire la voilure. Il fallait trouver les moyens appropriés pour le faire. Ils étaient simples. Il y avait un problème : comment faisons-nous pour réduire les demandes et comment les sérier ? Il y avait un problème technique, les gens continuaient à venir, et nous devions pourtant réduire la voilure. Comment faire ? C’est là qu’est apparue une discussion sur comment être tout à fait strict par rapport à la consultation. Nous n’avions pas l’intention de réduire ce type de demandes venues de l’extérieur. On ne savait pas quoi faire devant ce fait-là. Quels moyens avions-nous, quand quelqu’un téléphonait, de dire "Non, vous ne pouvez pas" à l’un et "Oui, vous pouvez" à l’autre ? Nous avons évoqué cette possibilité, mais nous avons conclu à l’époque que ce qu’il fallait faire, c’était filtrer ainsi le nombre de patients qui venaient. Il faut distinguer chez les patients ceux qui viennent et ceux qui suivent le traitement. Qu’indiquent les chiffres ? La quantité de personnes qui viennent une fois. Il faudra savoir combien sur ces 1 600 personnes ont suivi le traitement. On disait à beaucoup de patients, après deux ou trois consultations, qu’on ne pouvait pas donner suite au traitement. La seule façon que l’on avait de réduire, c’était avec un certain filtre clinique, savoir si on pouvait ou pas rendre service au patient.

Tout de même, on dirait plutôt que vous avez pris le contre-pied de mon avis, sinon nous ne serions pas dans la situation où nous sommes aujourd’hui.

Pourquoi le contre-pied ? Nous avons traité le problème, qui n’était pas simple à résoudre.

Bon. Je n’innovais pas beaucoup à la Conférence institutionnelle de la mi-septembre en disant qu’il fallait réduire la voilure, puisque j’employais la même expression que quatre ans plus tôt. Je ne me décourage pas, on va bien finir par y arriver.

J’ai eu il y a quelques jours un échange avec Bernardino Horne, qui me demandait une indication à propos du CPCT-Bahia, et je lui ai répondu en espagnol :

"A/ no crecer mas: ni una hora mas, ni un solo cartel mas, ni una sola persona mas; si se desea integrar nuevas personas, hacerlo por permutacion.

B/ separar totalmente las reuniones clinicas y las reuniones de gestion; las de gestion, solo para un pequenyo numero de personas (4 o 5); hacer publicas las cuentas y las decisiones de gestion 2 veces por anyo, en un document escrito".

C’est très bien.

Voilà ce que je propose, si vous en êtes d’accord : que les CPCT existants ne croissent pas davantage, ne reçoivent pas davantage de patients, ne créent pas de nouvelles Unités, ne fassent pas entrer de nouveaux consultants. Et si l’on souhaite faire entrer de nouveaux consultants, que ce soit par la permutation de ceux qui sont déjà là. Donc, premier temps : gel de la croissance – ce qui nous laissera dans un second temps le loisir d’étudier la situation des CPCT, à la fois dans leur ensemble et un par un. Les "supervisions", les "rendez-vous de formation", les RIM, etc., tout ça, qui s’est développé sur le modèle du CPCT-Chabrol, et qui ne faisait pas partie du projet initial –– cela doit-il être maintenu en l’état ? Il faudra également procéder à un recadrage des CPCT par rapport aux Sections cliniques – à un rapprochement, qu’il s’agit d’étudiants - et par rapport à l’École. Enfin, il faudra se demander aussi quels CPCT doivent subir, si je puis dire, une cure d’amaigrissement, afin de répondre le mieux possible à leur mission. Cela vous paraît-il recevable ?

Mais tout à fait. Pas de problème. C’est un bon plan pour le moment actuel.

La Conversation de Bordeaux a fait apparaître aussi qu’on gagnerait à séparer les réunions cliniques et celles de gestion, qui sont actuellement confondues dans ce que vous avez appelé les RIM, réunions institutionnelles mensuelles. Il n’est pas sain, je crois, que les questions de gestion soient mêlées aux débats cliniques, d’autant qu’elles tendent à emboliser le tout. Il est bien préférable qu’elles soient traitées par une direction de 4 ou 5 personnes, avec diffusion des informations par écrit à tous les intervenants, à intervalles réguliers. C’est en tous les cas ce que j’ai conseillé pour Bordeaux et pour Bahia. J’aimerais que nous laissions maintenant de côté la question du CPCT, et que nous en venions à l’École de la Cause freudienne. Mais seriez-vous d’accord pour remettre la suite à demain soir ?

À la même heure, entendu.

Propos recueillis

le vendredi 31 octobre 2008

PUBLIÉ

74 RUE D’ASSAS À PARIS 6è

PAR JAM