mardi 2 décembre 2008

Entretiens d'actualité n°26

Dominique Holvoet : Sur la passe à l’entrée

Sylvie Ullmann : L’Époc E. Cristelli-Maillard : Famille en péril

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

26

le mardi 2 décembre 2008

ÉDITORIAL

Il suffit de consulter le site de l’ECF pour constater la place disproportionnée qu’y tient la psychanalyse appliquée et la multiplication des références au CPCT-Chabrol. La question fameuse revient en mémoire : "Quousque tandem…" Jusqu’à quand.… ? – Jacques-Alain Miller

DOMINIQUE HOLVOET : Sur la passe à l’entrée

Cher Jacques-Alain Miller,

J’ai lu dans vos entretiens d’actualité votre regret que la passe à l’entrée n’ait pu donner toute sa mesure à l’époque de son introduction et que l’expérience dut être suspendue. Bien qu’encore fort jeune à ce moment, je suis entré dans l’École par cette procédure que j’ai accomplie avec un grand enthousiasme et une forte détermination. La réponse du Cartel fut que l’analyse devait maintenant s’accomplir "au-delà de l’Œdipe". Le plan des identifications ainsi traversé, je fus admis à l’Ecole de la Cause freudienne et les effets en furent immédiats : seconde tranche d’analyse, contrôle de la pratique et raffermissement du désir. Vérifier que l’analyse ait atteint ce point par la passe à l’entrée en même temps que jauger le goût pour l’étude du candidat est le double mouvement que vous proposez pour une nouvelle procédure d’entrée à l’Ecole. Je vote pour !

La traversée du plan des identifications apparaît donc comme l’initium nécessaire et non suffisant d’un parcours analytique en cours et vérifiable comme tel. C’est ce que vous placez au départ de l’exercice de la psychanalyse : se priver de l’arme de l’identification. "La force du discours analytique procède de tout ce que l’analyste ne fait pas. L’essentiel de la ‘formation’ de l’analyste consiste à apprendre à ne pas se servir de la force que lui donne la situation de langage instituée par la demande du sujet qui souffre." (Ent. act. n° 14.)

J’aimerais rappeler dans le contexte de débat qui agite avec bonheur notre Ecole que cette condition nécessaire et non suffisante est au fondement du travail des Institutions que vous avez rassemblées sous le sigle du RI3. Ce qui procède de la Pratique à plusieurs trouve son fondement dans le mouvement de désidentification auquel est invité le praticien dès ses premiers pas. Ainsi l’Antenne 110 définissait son action comme se basant sur la psychanalyse sans la dispenser, le Courtil choisissait de dénommer ses praticiens du terme générique d’"intervenants" pour rompre avec l’identification au psychologue, à l’éducateur ou au spécialiste… – au psychanalyste, nous n’y pensions même pas ! A Nonette c’est en tant qu’extime que le psychanalyste joue son rôle, transmettant aux membres des équipes un attachement intime à la psychanalyse. Ainsi dans le RI3, avec ses institutions associées s’est installé un état d’esprit, une ambiance faits de respect par rapport à la psychanalyse. Elle est pour nous une référence de travail édifiante, un champ de recherche permanent et surtout une éthique que vous avez formulée ainsi dans votre Clinique ironique : "devant le fou, le délirant, n’oublie pas que tu es, que tu fus, analysant, et que toi aussi, tu parlais de ce qui n’existe pas".

Dans les institutions du RI3, la psychanalyse est toujours restée extime à l’institution. J’en témoigne parce que près de 30 ans plus tard ces institutions, et de nombreuses autres avec elles aujourd’hui, conservent intact et vivant leur rapport à la psychanalyse. La recette : le goût de l’étude transmis par des aînés qui n’ont pas cédé devant l’étude de textes difficiles ; aucune place pour l’identification au "psy" ; le doigt pointé vers l’Ecole et ses entours comme lieu de formation ; l’analyse personnelle comme préalable à toute responsabilité certifiée. Ainsi, la psychanalyse n’y est pas un fait établi mais une expérience, celle de chacun comme celle d’un collectif qui fonctionne selon votre théorie de Turin.

De cette façon l’application de la psychanalyse à la thérapeutique peut trouver son sillage avec à son bord rien que des analysants éclairés et quelques autres. L’effet de formation se mesure à la puissance 3 !

Je vous remercie, cher Jacques-Alain Miller, de ne pas céder sur la passe.

Tournai, le 23 novembre 2008

SYLVIE ULLMANN : L’ÉPOC

Cher Jacques-Alain Miller,

L’ÉPOC, L’Espace psychanalytique d’orientation et de consultations, a été créée en janvier 2005. À ce jour, l’équipe est composée de quatorze praticiens orientés par la psychanalyse. Ils sont psychologues, psychiatres, psychanalystes. Certains sont membres de l’Ecole, et d’autres sont membres de L’Envers de Paris. Viennent s’ajouter plusieurs intervenants animant certains ateliers que nous développons ainsi qu’une assistante sociale, ils partagent la même orientation. Notre travail de réflexion clinique et théorique est accompagné par une réunion mensuelle avec un analyste membre de l’Ecole de la Cause Freudienne.

Un espace ouvert sur la ville

L’activité du premier espace d’accueil et de suivi a débuté en juin 2005 dans le 19e arrondissement de Paris. Notre développement a été très rapide, du fait d’un large partenariat tissé notamment par de nombreuses rencontres avec les équipes des structures parisiennes du champ social, de l’insertion et du réseau de soins. Nous développons trois modalités d’accueil qui nous paraissent complémentaires :

1) L’accueil individuel sur ou sans rendez-vous.

2) L’accueil en petit groupe ou en atelier individuel (ateliers à visée thérapeutique)

3) L’accueil ou la supervision de professionnels.

Pour autant, l’accueil commence pour nous dès le premier contact au téléphone auquel nous sommes attentifs. L’association est joignable du lundi au dimanche, de 9h à 19h.

De plain-pied sur la rue, ce dispositif inédit, ouvert la semaine et le week-end, propose un accueil facile et rapide, confidentiel et gratuit, sur ou sans rendez-vous, et sans condition préalable ; mais aussi des ateliers ludiques et de création à visée thérapeutique. Chaque sujet peut en faire usage le temps qu’il faut. C’est une structure de proximité, mais non sectorisée, neutre, légère, conviviale, rassurante, non stigmatisante et non ségrégative, qui propose un accueil attentif, un suivi, une présence, une souplesse de fonctionnement, une disponibilité, un accompagnement thérapeutique favorisant le tissage d’un lien social inédit, et des moyens d’apaisement. Il n’y est pas délivré de traitement médicamenteux.

Nous recevons des jeunes et les adultes en souffrance psychique et sociale, en rupture de lien social, en situation de précarisation. Nous assurons aussi des supervisions d’équipes du secteur social.

Utilité sociale

Concernant l’année 2008, à fin novembre, nous avons déjà reçu 540 patients et 110 personnes ont participé aux ateliers. Près de 90 structures de Paris et de banlieue nous ont adressé des personnes durant année, sans tenir compte du bouche à oreille qui ne cesse de croître. L’ÉPOC fait partie du dispositif territorial existant. La Mairie du 19e soutient nos actions depuis 2005. Je participe au Conseil de santé du 19e qui se déroule en Mairie, au Conseil de santé mentale de l’arrondissement et à d’autres instances. Cette inscription sur le terrain et dans la cité tient aussi à mon désir d’inscrire ainsi notre association.

Deux espaces

En février 2008, nous avons ouvert un second espace d’accueil, en secteur "Politique de la ville" du 19e. Cela a demandé un redéploiement de l’équipe et a impliqué des charges supplémentaires, notamment la création de postes salariés (3 pleins-temps : 1 poste de direction, 4 psychologues salariés, 1 chargé d’accueil-secrétaire, plusieurs intervenants pour les ateliers). Un poste de direction a été créé et je l’assume en ayant pris le risque de quitter mon emploi. Pour ce qui me concerne – et ce depuis plusieurs années – L’ÉPOC me prend quasiment tout mon temps, 7 jours sur 7. Là, je rejoins certains propos lus dans vos Entretiens d’actualités, notamment, ceux de Daniela Fernandez. La différence est que j’assume seule la plupart des tâches, et que les intervenants, bénévoles ou salariés, ne sont pas débordés par l’institutionnel, les recherches de subvention, etc. Pour eux, c’est la clinique qui prime. Ils ont juste à transmettre certains éléments, et deux rapports d’activité par an.

Réunions cliniques et travail théorique

Nos réunions d’équipe et de travail clinique et théorique sont donc consacrées à la clinique et à la discussion autour de textes cliniques produits chaque mois. Elles viennent aussi préparer la Journée d’échanges et d’étude annuelle que nous organisons à la Mairie du 19e. L’an passé, 250 professionnels de Paris et de banlieue y ont participé (des acteurs du social, de l’insertion et du réseau de soins). "Désinsertions et lien social, Clinique actuelle dans la Cité", la Journée du 9 décembre prochain a déjà autant d’inscrits. Cette diversité des partenariats et ce travail de terrain sont mon moteur et c’est ainsi que j’ai souhaité développer L’ÉPOC. Cet ancrage dans la ville rend lisible et visible notre orientation de travail.

Subventions

L’ÉPOC a débuté sans aucun financement, seul ce désir d’intervenir et d’agir dans la cité a imprimé la suite. Nous avons rapidement obtenu des financements (Mairie de Paris (DASES) – ACSE – DASS – GRSP- Conseil régional). Ces financements augmentent car notre budget augmente mais je ne me sens pas "obligée à" par les financeurs. Notre situation sur le plan financier reste précaire du fait de financements annuels.

Poursuivre

Je souhaite juste que L’ÉPOC poursuive sa route, et que les intervenants bénévoles, et d’autres maintenant salariés, qui se sont engagés soient toujours animés par ce qui s’invente-là pour que les personnes que nous recevons, toujours plus nombreuses, puissent trouver une issue à leur impasse, élaborer leur propre solution. C’est une pratique rigoureuse et faite aussi de souplesse pour laisser place à un nouage inédit afin de trouver une issue viable pour le sujet.

Sylvie Ullmann est fondatrice et directrice générale.

ESTER CRISTELLI-MAILLARD : SOS Famille en péril

Je reçois des patients au SOS Famille en Péril depuis sa fondation en 19841.

Les praticiens y sont salariés, des psychologues, analystes en formation d’orientations diverses. Les consultations sont gratuites ; on peut parler au téléphone avant de prendre un rendez-vous ; l’anonymat est permis à ceux qui ne souhaitent pas se nommer ; le sujet peut contacter un praticien sans préambules.

Le temps des entretiens et des "suivis" reste de la responsabilité de chaque praticien. Avant le "suivi", par un praticien, cinq entretiens préliminaires sont à la charge de celui-ci. Tout cet ensemble y est appelé "souplesse" du cadre institutionnel.

J’ai fait un contrôle suivi de cette pratique avec un analyste de l’ECF, et j’ai présenté de cas de cette pratique dans le cadre de la Section clinique.

Ce service facilite une première rencontre avec un praticien, à des patients qui autrement n’auraient pas consulté. La clinique est très diversifiée, tant du point de vue des pathologies cliniques (névroses et psychoses) que du milieu social des patients.

Nous recevons aussi des sujets qui se trouvent face à une "inefficacité" durable de leur analyse… ou de leur suivi psychothérapeutique. Parfois des sujets bien insérés socialement, demandent à rencontrer un psychologue, sujets qui n’ont pas pu, pour des raisons particulières, adresser une demande à un praticien hors d’une institution ou d’une consultation gratuite. Les consultants se servent du lieu et des praticiens de façon dite atypique par rapport aux "situations prévues" dans d’autres établissements publics traditionnels pour les consultations, tels que le CMPP, le CMP, etc.

D’être classé hors des lieux psychothérapeutiques… était un avantage à mes yeux, ce service a laissé une marge d’indépendance pour un traitement psychanalytique. Cela ne va pas sans une articulation à la pratique analytique au poste de commande.

J’estime que la référence faite à la psychanalyse est la raison du "succès" de la proposition institutionnelle. La présence dans ce service de psychologues, analystes en formation, était moins évidente il y a 20 ans. Le SOS Famille en Péril est mis en question dans le milieu "psy" comme un lieu suspect : d’abord en raison de son nom mais surtout du fait de la proposition d’une pratique analytique en dehors du dispositif standard. Cela a provoqué, d’emblée, une analyse du projet de l’institution, analyse qui fut une préoccupation constante des tous les praticiens.

Certaines manifestations cliniques sont induites par le lieu même. Parfois, un patient peut dire : "je viens vous voir parce que je n’aime pas les psys", tout en sachant qu’il s’adresse à un "psy". Pour le praticien ce qui compte c’est qu’il peut le dire. Qu’est-ce que, du lieu, l’a interpellé ?

De multiples questions portent sur l’anonymat permis, et la gratuité. Par exemple : comment traiter la tension entre l’offre de l’institution et une pratique d’orientation lacanienne ? L’anonymat cautionnerait-il l’irresponsabilité du sujet ?

Sur la responsabilité propre au sujet qui consulte, je peux dire que : si le sujet se trompe lui-même et veut croire qu’il peut être exempté du contenu inconscient de ses actes, le praticien, dans le travail de la demande, peut laisser du temps au sujet, en tenant compte du paradoxe de sa demande.

Dans la plupart des cas, le sujet se nomme. Lorsque quelqu’un décide de venir parler de ses difficultés, même si dans un premier temps il ne dit pas son nom, il est nommé d’abord par sa plainte elle-même, par son symptôme. Le signifiant "anonyme" est souvent interprété comme celui de la confidentialité même de l’entretien : il arrive que quelqu’un se nomme et à la fin de l’entretien demande de "rester anonyme".

Le "prix à payer" pour chaque sujet serait-il masqué par la gratuité ? Les patients savent, que dans la grande majorité des institutions publiques, les consultations sont gratuites ou remboursées. Pour certains, la gratuité soutient l’anonymat en ce qu’elle évite l’identification du sujet par les organismes de service social. Des agents hospitaliers utilisent le service pour éviter d’aller consulter dans le réseau de leur milieu de travail.

Au soupçon d’une antinomie posée sur les conditions d’une pratique lacanienne dans cette institution, ma réponse fut, pendant longtemps, que l’essentiel était la responsabilité du clinicien dans sa pratique. Si, dans sa tactique, le praticien décharge le sujet de la responsabilité de ses dits, dans son éthique, le travail analytique intensifie la responsabilité du sujet2. Contre les dérives imaginaires il y a la visée du traitement. Et la place que l’analyste occupe pour le patient est à contrôler au cas par cas.

Mais si le praticien peut toujours, isolé avec son patient, se démarquer du lieu dans sa pratique, la responsabilité du praticien suffirait-elle pour faire exister une pratique analytique dans une institution? En tout cas ça ne peut pas être l’unique façon de traiter de la politique de l’institution. La réflexion sur les fondements théoriques de l’institution fut nécessaire. Une institution ne peut garantir ce qui permet la pratique psychanalytique, il n’en reste pas moins vrai que nous devons tenir compte du lieu où notre pratique s’insère.

Il y a des incidences du lieu sur la pratique, ainsi que des incidences de la pratique sur le lieu où elle s’insère. La visée du traitement est distincte de l’obtention des effets thérapeutiques.

Deux points m’orientent :

- D’une part, le praticien doit se tenir pour responsable de ce qui s’avère des faits de sa pratique.

- D’autre part, on ne peut pas mettre le psychanalyste sous la domination de la demande.

Il m’a fallu isoler les idéaux suggérés par le lieu, dans un travail essentiel, des semblants que l’institution véhicule. Aussi tenir compte que l’institution peut se constituer comme un référent qui pré-interprète pour le patient et/ou pour le public concerné. Comment préserver une institution pour la pratique analytique sans la fixer comme un référent ?

Dans cette pratique institutionnelle, il m’a fallu compter avec le concept de "psychose ordinaire" qui fut travaillé dans la pratique et en contrôle. Sans ce concept, une certaine clinique n’aurait pas avancé dans ce lieu, du point de vue analytique.

1. Ce service fait partie de l’Association Olga Spitzer, d’utilité publique, Loi 1901, une institution de protection de l’enfance. Le SOS Famille en Péril est un "lieu d’écoute et d’accueil" pour tous les conflits parents enfants, orienté par la psychanalyse.

2. JAM, L’Orientation lacanienne, Cours au Département de Psychanalyse de l’Université Paris VIII, Séance du 20 janvier 2002, inédit.

PUBLIÉ 74 RUE D’ASSAS À PARIS 6è PAR JAM