mardi 16 décembre 2008

Entretiens d'actualité n°34

Une contribution de Lilia Mahjoub

Hervé Castanet : Questions ouvertes à Antibes

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

34

le mardi 16 décembre 2008 (2)

diffusé sur ecf-messager & archivé sur forumpsy.org

LILIA MAHJOUB : Vers la matinée de la passe (18 janvier 2009)

La Proposition du 9 octobre 1967, de Jacques Lacan, "implique une cumulation de l’expérience, son recueil et son élucidation, une sériation de sa variété, une notation de ses degrés" (1). Tel est le "travail de doctrine" (2) auquel sont appelés à contribuer les cartels de la Commission de la formation psychanalytique (Commission de la passe).

Depuis quelques années, ces cartels ont communiqué les résultats de cette expérience sous la forme de rapports rédigés à la fin de leurs deux années d’exercice. Ces rapports, fort intéressants, souffrirent néanmoins d’un manque de débat et peut-être même de lecture.

En septembre 2007, après que ses cartels se soient constitués en juillet de la même année, la Commission de la passe se mit à la tâche. Elle décida de renouer avec l’indication de la Proposition quant au travail à faire, en donnant à celui-ci une audience plus vivante et plus propice au débat. D’où l’idée d’organiser des matinées de la passe et dont la Commission vient d’annoncer la tenue de la prochaine, le 18 janvier 2009, au 1, rue Huysmans, de 10 à 13 heures, sous le titre "La passe, par delà les formations de l’inconscient".

La première matinée avait eu lieu le 29 mars 2008, alors que les cartels n’avaient que six mois de fonctionnement. Sous le titre "Les variétés de la passe au XXIème siècle" et le sous-titre "La passe comme moment d’élucidation dans la cure", les membres des cartels s’exprimèrent, un par un, sur leur propre mise dans cette expérience, c'est-à-dire sur leur conception, dans le moment actuel de l’Ecole, de l’analyste de celle-ci.

Le risque était alors de produire des préjugés à ce sujet, alors même qu’il s’agissait de redéfinir les coordonnées de la procédure de la passe. Le terme de "variétés", repris à la Proposition de Lacan, pouvait en effet conduire à tout autre chose qu’à la "sériation de la variété" de l’expérience, et laisser penser que, pour nommer l’analyste de l’Ecole, la passe pouvait s’appuyer sur des moments de cure, c'est-à-dire produire une sorte de clinique de la passe.

Les cartels n’avaient eu à entendre que peu de témoignages, et ceci ne donna pas lieu à une telle production.

De plus, ce n’est pas la quantité du matériel qui devrait primer pour leur permettre une élaboration qui ne relève pas de la clinique.

Depuis septembre dernier, en effet, se précise chaque jour un peu plus que clinique et psychanalyse ont à être sévèrement distinguées en ce qui concerne cette expérience.

C’est au "point de raccord" où le psychanalysant passe au psychanalyste que l’Ecole doit s’intéresser, via la passe, et ainsi "s’employer à dissiper" "l’ombre épaisse" (3) qui recouvre ce point. Or, cette ombre ne cesse pas de se reformer et voue l’Ecole à un travail toujours à recommencer.

C’est sans doute ce qui faisait dire à Lacan, en janvier 1978, à Deauville, que cette passe, "c’est un échec complet". Ce à quoi il ajoutait qu’il fallait être "drôlement mordu […] par Freud principalement, c’est-à-dire croire à cette chose absolument folle qu’on appelle l’inconscient" (4), pour se constituer comme analyste.

L’inconscient, voici un mot qui, comme concept, sera sans arrêt remis sur le métier, par Freud puis ensuite par Lacan.

De notre côté, nous ne pouvons pas faire l’économie de cette interrogation permanente. C’est d’ailleurs à des moments clés de l’histoire de la psychanalyse que cette interrogation est la plus vive. Dès lors, il me parait crucial qu’au moment où la question de la passe s’impose par rapport à la clinique et à la thérapeutique, que nous nous arrêtions à nouveau sur ce concept majeur. Majeur, dirais-je, en ce qu’il a d’impossible à saisir.

Le débat actuel sur l’Ecole, animé par Jacques–Alain Miller, nous montre combien une conception de la psychanalyse prise sous l’angle de la thérapeutique nous éloigne de l’expérience essentielle qu’est la psychanalyse. Dans un contexte où vont s’autoriser des psychothérapeutes pour thérapier le psychisme, des questions cruciales se posent, telles que celles-ci qui s’avèrent étroitement liées : "Qu’est-ce que l’inconscient ?", "Qu’est-ce qu’un psychanalyste ?"

"Qu’est-ce que l’inconscient ?", c’est une question qui ouvre l’intervention de Lacan, à Naples en 1967, et qui s’intitule "La méprise du sujet supposé savoir", et ce, parmi bien d’autres occurrences où cette question est à nouveau posée.

Il est arrivé que le succès thérapeutique soit patent dans un témoignage. Or les cartels de la passe n’ont pas à juger de cet aspect, et n’ont pas ainsi à se transformer en jury de super -cliniciens chargés d’évaluer un certain progrès atteint dans la cure.

Par ailleurs, pour en venir aux formations de l’inconscient, j’ai souvent remarqué que celles-ci, en l’occurrence des rêves, étaient rapportés, dans les témoignages, sous forme d’énoncés comme tels déposés et censés signer un moment de cure, voire sa fin. Ces énoncés ne nous disaient en rien ce qu’il en est du rapport du passant à son inconscient et ainsi livrés laissent croire que gît là l’inconscient réel.

Pourtant, nous sommes en mesure d’attendre que le rapport à l’inconscient de l’analysant soit modifié entre ces deux points de raccord que désigne Lacan dans sa Proposition et qui sont le début, de l’analyse, c’est-à-dire le passage à l’analysant, et la fin de celle-ci, à savoir le passage à l’analyste.

Il conviendrait, sinon d’en suivre le fil, en tout cas d’en saisir la logique. Que devient ainsi la croyance à l’inconscient de l’analysant, quand il est en passe de devenir analyste ? Cette croyance, n’est-ce pas ce qui pourrait avoir valeur de désir inédit de l’analyste ?

Jacques-Alain Miller, dans son cours cette année, en examinant "La finesse d’un acte manqué" de Freud en 1933, nous montre comment celui-ci croit à l’inconscient et ne se tient pas pour quitte avec le sien, malgré tout ce qu’il a pu élaborer depuis sa découverte. De son côté, Lacan n’hésite pas, comme dans son rêve de réveil où des coups sont frappés à sa porte, dans son séminaire de 1964, à faire de même.

Mais, n’y a-t-il pas, dans la façon dont l’enseignement de Lacan est parfois appréhendé dans l’Ecole, à partir notamment de son tout dernier enseignement, quelque chose qui a été passé à la trappe ? En d’autres termes, l’inconscient n’est-t-il pas conçu, après que Lacan parle de l’inconscient réel, comme ce dont il faut se débarrasser. Ce serait une sorte d’idée de liquidation de l’inconscient. Il en irait ainsi de ces récits de rêves, déposés comme autant d’évidences, n’appelant aucun sens, mais qui en réalité sont restés inanalysés. Et ce chemin qui n’a pas été réalisé ne saurait être fait, voire relayé par les cartels de la passe.

La matinée de la passe pourra ainsi prolonger ces questions, et permettre aux membres des cartels de rendre compte de points, de résultats, qui leur paraissent nécessaires à communiquer dans le débat actuel de l’Ecole.

"La passe, par delà les formations de l’inconscient" est un titre qui a été choisi pour indiquer qu’il ne s’agit pas de situer la passe dans un au-delà de l’inconscient, comme une séparation radicale d’avec celui-ci, mais plutôt comme un trajet ou une trajectoire impliquant des modifications de la conception de l’inconscient par le passant.

Et si nous avons parlé, ici, du rêve, le symptôme comme formation de l’inconscient aura aussi bien sa place dans ce questionnement, eu égard à ce que Lacan a développé à ce sujet, jusqu’à la fin de son enseignement.

(1) Lacan Jacques, "Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole", Autres écrits, Le Seuil, Paris 2001, p. 255.

(2) Ibid., p. 256.

(3) Ibid., p. 252.

(4) Lacan Jacques, "Conclusions", Lettres de l’Ecole n° 23, Bulletin intérieur de l’Ecole freudienne de Paris, avril 1978.

HERVÉ CASTANET : Questions ouvertes à Juan-les-Pins

La Conversation de Juan-les-Pins s’est poursuivie le dimanche matin 7 octobre à propos des Sections cliniques et de la transmission de l’enseignement qui y est donné. Ces échanges ont pu réordonner ce qui s’était débattu le samedi après-midi. In fine, la référence à l’École se dégage. Isolons quelques questions ouvertes en suivant leur ordre d’apparition.

1 - La journée nationale Uforca

Un constat : les Journées nationales Uforca, depuis plusieurs années, se sont déconnectées d’une préparation locale. Un automaton s’est mis en place. Les exposés ont gagné en qualité, mais le mouvement d’aspiration a été sacrifié. Or en stratifiant les niveaux, on apporte la vie. Créer, stratifier crée un appel d’air. En faisant une différenciation interne, on produit une dynamique. L’École fonctionne avec ce principe. C’est ce qu’il faut retrouver pour les Sections cliniques. Il en était autrement lorsque chaque Section était sollicitée pour présenter un texte à la Journée nationale. Le thème choisi était travaillé toute l’année. Une proposition pratique s’en déduit pour 2010 : chaque Section travaille le thème de la Journée nationale. Des séances plénières et plusieurs salles simultanées sont organisées. Un texte de chaque Section est sélectionné.

2 - Nouveaux enseignements dans une Section ?

Que proposer aux participants inscrits dans une Section depuis plus d’une décennie – aux anciens ? Plusieurs propositions sont faites. L’enseignement devrait s’ouvrir à d’autres disciplines : épistémologie, topologie, logique, classiques de la psychiatrie, mais toujours rapportées aux enjeux de la psychanalyse et de sa clinique. Comme pour l’agrégation, on choisit trois auteurs. On prend Aristote une année et l’on poursuit avec d’autres. Ce serait un secteur où il y aurait du nouveau qui nous surprendrait nous-mêmes. Il pourrait y avoir des invités extérieurs. Pensons à des injections, à des piqûres courtes de savoir. Pour faire exemple, le concept de contingence a été évoqué. Il ne s’agit pas pour autant de combler ou de réparer les manques de la culture générale des cliniciens.

3 - Les intervenants au CPCT et les SC

La Section de Nice a pris le parti de créer un Séminaire de psychanalyse appliquée, en référence à l’Atelier de psychanalyse appliquée qui fonctionne dans le Département de psychanalyse (Université Paris 8). Ce n’est pas le cas à Marseille Doit-il être un lieu de préparation à une pratique des traitements au CPCT ? Un débat vif s’ensuit sur ce qui s’enseigne dans une Section. L’idée initiale était que le stage au CPCT était un complément de l’Atelier de psychanalyse. Si l’Atelier devient le moyen d’aller au CPCT, c’est que le CPCT a pris une nouvelle densité et que le contraire du projet initial se réalise – comme un passage à l’envers de la bande de Möbius. La mission des Sections cliniques est une contribution à la formation des psychanalystes. Demain, si on essaye d’y former les consultants du CPCT, c’est foutu ! Les Sections n’ont pas pour projet de former des consultants du CPCT, mais de contribuer à la formation des analystes – voilà leurs objectif et priorité. Une conséquence de dénomination apparaît : si on garde l’expression psychanalyste du CPCT, alors il faut dire que ceux qui consultent au CPCT sont des psychanalystes ou des stagiaires ou des analystes en formation. Les Sections n’ont aucune vocation à former des consultants au CPCT en tant que tels !

4 - Y a-t-il une formation à la psychanalyse appliquée ?

Si on différencie la psychanalyse appliquée et la psychothérapie, la réponse est non. Il y a une formation à la psychanalyse en complément de sa propre analyse dans laquelle l’analysant se fait lecteur de son inconscient. La psychanalyse appliquée, c’est la modélisation de la vérité – c’est la psychanalyse appliquée au mensonge. Par contre, il y a un enseignement de la psychothérapie que la loi va instituer. Nous y prendrons notre part. Un enjeu politique se dégage : le maître contemporain veut des psys à sa main ; il veut les produire au rabais. C’est pourquoi il nous faudra renforcer la qualité de notre formation.

Les psychanalystes sont réticents aux conditions de la civilisation. Il y a un irréconciliable dans la psychanalyse dont le maître ne veut pas. Mais il y a aussi cette demande d’écoute qui est désormais un droit du citoyen. Des formations courtes sont proposées pour y faire réponse. En Angleterre, une formation TCC peut se limiter à trois semaines. On baisse les anti-dépresseurs, on monte les opérateurs psys. La machine sociale continuera à être bien huilée. On connaît le risque qui nous guette : "Et nous sommes devenus ce que nous combattions" (Nietzsche) !

5 - Consultant ou psychanalyste ?

En quoi la position subjective du consultant fonctionne-t-elle différemment de celle de l’analyste ? Pour pratiquer la psychanalyse, il faut désapprendre ce que l’on a appris au CPCT. Dans ce dernier, on apprend à faire ceci ou cela. C’est en lâchant les instruments de cette action que l’analyse est possible. En tant qu’analyste, on se passe des instruments dont on se sert au CPCT. Un exemple : la durée au CPCT est programmée. Or l’analyste, lui, déploie une attitude expectante. Le CPCT fonctionne sur un Ce que je veux, moi, pour le patient et non sur le Che vuoi dégagé dans le transfert. Les exemples peuvent être multipliés. Faudrait-il envisager deux orientations pour les patients qui s’adressent au CPCT ? 1. Un secteur où l’on opère à la Chabrol : sur seize séances, on s’efforce de boucler un effet thérapeutique – ce qui implique une position active, anti-analytique. 2. Un secteur qui introduit à la psychanalyse hors les murs du CPCT en référence aux entretiens préliminaires. Il nous faudra alors lever l’inhibition de ne pas accueillir les patients dans nos cabinets.

6 - L’École

En créant son École puis le dispositif de la passe, Lacan avait un souci d’authenticité. Comment ne pas faire semblant alors que notre champ se prête éminemment à l’imposture ? C’est ce qui poussera Lacan à dire que la position de l’analyste se réduit au prestige social. Le dispositif de la passe a en son cœur cette question de l’authenticité. En tant que névrosés, nous sommes gangrenés par la fausseté : je suis faux. Le langage aussi véhicule cette imposture. Ce qui ne devrait pas changer, pour nous, est cette authenticité. C’est par là que nous nous distinguerons des psychothérapeutes qui, eux, usent des semblants pour ne se protéger d’aucun réel. Repousser les impostures ! Voilà ce qui est à maintenir pour toujours. Il nous appartient de faire passer ce choix dans nos appareils, nos institutions. L’entrée par la passe deviendrait la règle pour devenir membre de l’École mais avec une présélection où le candidat donnerait des preuves objectives de son existence, en particulier au plan national. Une conséquence pour notre ECF en tant que clé de voûte du Champ freudien : parce qu’elle est devenue trop lourde, optons pour une bonne saignée pour retrouver de la vivacité – celle de l’authenticité d’un monde pas sans réel.

Compte rendu établi à partir des notes prises par Elsa Lamberty, Nicole Magallon, Françoise Mary, Claude Van Quynh.

PUBLIÉ 74 RUE D’ASSAS À PARIS 6è PAR JAM