vendredi 5 décembre 2008

Entretiens d'actualité n°27

Miquel Bassols, Antoni Vicens : Le débat espagnol commence

Autres contributions de Luc Garcia et Joëlle Joffe

ENTRETIENS D’ACTUALITÉ

27

le vendredi 5 décembre 2008

ÉDITORIAL

Le filon s’épuise. Le thème CPCT a déjà mobilisé vingt-six numéros des présents Entretiens ; on trouve sur le site forumpsy.org les électrobrochures des CPCT de Bordeaux, Lyon, Paris ; on y trouvera la semaine prochaine celles d’Antibes et de Marseille, et le décryptage complet de la Conversation de Bordeaux (18 octobre). En dépit de leur qualité, nombre des textes que je reçois – qui sont surtout des témoignages d’un itinéraire personnel – n’appellent pas la publication. On attend autre chose : connaître les décisions prises par les responsables en fonction des éléments apparus au cours des échanges. L’heure, à mon sens, n’est pas à ressasser, mais à s’entretenir de l’Ecole elle-même – ce qu’elle est, ce qu’elle peut être, ce qu’elle ne doit pas devenir. – Jacques-Alain Miller

PS : le débat a commencé en Espagne, à l’initiative de la nouvelle Présidente de l’Ecole, Lucia D’Angelo ; je donne ici les deux premiers textes parus, qui sont d’Antoni Vicens et de Miquel Bassols, qui tous deux sont également membres de l’ECF.

ANTONI VICENS : Au CPCT de Barcelone

Chère Elvira Guilañá, chers collègues,

C’est en octobre 2004, date où fut fondé le CPCT de l’ELP à Barcelone, que j’ai commencé à y travailler. J’ai ensuite participé au CPCT de l’ECF, rue de Chabrol à Paris, de mars à mai 2005, jusqu’à ce que je revienne à Barcelone. J’ai décidé d’interrompre cette expérience. Je quitterai le CPCT lorsque les traitements que j’y conduis seront terminés.

Je suis très satisfait de l’expérience que j’ai pu faire au CPCT, tant au plan clinique qu’institutionnel. Mais je crois que travailler gratuitement ne doit se faire que pendant un temps limité et en sachant précisément ce que l’on veut obtenir ; le faire sans limites et par inertie pourrait aller à l’encontre des objectifs mêmes que l’on poursuit.

L’École soutient aujourd’hui un débat sur l’expérience des CPCT.

Pour ce qui est de l’aspect clinique de ce débat, il me semble évident – comme le rappelait Francisco-Hugo Freda dans son dialogue avec Jacques-Alain Miller – que les CPCT se sont créés au moment où le concept de psychose ordinaire s’introduisait dans notre clinique. Explorer cette notion a été, me semble-t-il, l’un des moteurs de notre formation ces dernières années. Et l’avancée de cette recherche au sein des CPCT a été très importante.

Sur le plan institutionnel, les CPCT ont instauré une plate-forme de conversation entre les membres de l’École. Mais il nous faut saisir que ce résultat ne peut être que temporaire car, si ce qui nous unissait était l’espoir de distribuer un bien aux citoyens, nous ne devons pas oublier que ce bien et cet espoir ne correspondent pas au discours analytique.

Enfin, sur le plan politique, les CPCT ont été un instrument adéquat pour décompléter le concept de santé mentale, et celui d’une psychanalyse qui y serait appliquée. J’ai toujours soutenu que les CPCT n’étaient pas des institutions de santé mentale et que dispenser un traitement gratuit nous permettait de nous distancer des initiatives qui confondent la psychothérapie avec une psychanalyse low cost.

Avec toute mon affection et ma considération.

Barcelone, 30 novembre 2008

Traduit de l’espagnol par Pascale Fari et Beatriz Vindret

MIQUEL BASSOLS : Des mathématiciens, des joueurs d’échecs et des psychanalystes

J’ai reçu une invitation au débat fait par notre présidente Lucia D’Angelo. Parallèlement j’ai reçu un texte très intéressant qui vient d’être publié en catalan : il s’agit de A Mathematician’s Apology, "Apologie d’un mathématicien", écrit en 1940 par Godfrey Harold Hardy, illustre mathématicien anglais qui s’est consacré à la mathématique pure. Sa lecture me semble très conseillable suite à la référence faite par Jacques-Alain Miller. Dans son premier cours du 12 novembre de cette année, Choses de finesse en psychanalyse, il a fait référence à la différence entre mathématique pure et mathématique appliquée afin de centrer notre actuel débat autour de la psychanalyse pure et appliquée.

Voici une citation du texte de Hardy dans sa défense de la mathématique pure : "Je crois que je pourrais renforcer mon argument en faisant appel aux sentiments des joueurs d’échec. Un maître d’échecs qui joue dans les plus importants tournois, il est certain qu’il méprise l’art purement mathématique subjacent aux problèmes d’échecs. Le joueur garde l’art mathématique comme une réserve qu’il peut utiliser en dernier recours." L’idée d’Hardy est que la mathématique pure, – "l’authentique" arrive-il à dire –, peut être dédaignée, voire oubliée, dans les applications que font d’elle les physiciens ou tous ceux qui y trouvent une utilité technique. Il peut arriver au maître d’échec évoqué par Hardy la même chose qu’aux boulangers évoqués par Richard Sennett, cités lors des dernières journées Ripa à Barcelone par notre collègue Mercedes de Francisco : ils savent appuyer sur les boutons pour faire le pain, mais ils ne connaissent plus le noble art de faire du pain. Le gagnant de la partie sait faire les mouvements pour produire l’échec et mat après avoir appris par cœur plusieurs fins de partie, – comme la machine Deep Bleu face à Kasparov –, tout en dédaignant l’art mathématique propre à la logique de ces mouvements. Un jour, il pourrait lui arriver ce qui est arrivé aux personnages du conte de Ray Bradbury évoqué par Jacques-Alain Miller lors de la journée Ripa : des personnages avec des grands ordinateurs qui avaient oublié comment il faut traiter un problème jusqu’à l’arrivée de quelqu’un qui, avec un crayon et un papier, arrive à le résoudre.

Le problème n’est pas banal. La caricature qui mettrait en série ses personnages avec le praticien actuel de la psychanalyse, – celui qui risquerait d’oublier son art derrière les applications thérapeutiques –, ne doit pas nous cacher la véritable nature du problème, qui fait partie de la nature même de la psychanalyse.

Mais continuons encore un peu cette argumentation du côté de la mathématique pour voir ce qu’elle a à nous apprendre. Dans l’excellente Introduction à l’édition catalane de l’œuvre d’Hardy, le mathématicien Josep Pla écrit quelque chose qui peut être surprenant : "Il ne faut pas confondre la mathématique appliquée avec l’application de la mathématique (…) La mathématique appliquée est mathématique, elle fait partie de ce qui est inclus du point de vue sémantique dans le mot mathématique. Les applications de la mathématique sont les usages, plus ou moins restreints, que font les physiciens de la mathématique, – il faut être ferme – : les ingénieurs, les architectes, les informaticiens, les biologistes, les sociologues, et d’autres scientifiques. Un mathématicien appliqué, j’insiste, fait de la mathématique." Ce qui est dit est d’autant plus clair que tautologique. Or, un physicien par exemple, ne fait pas des mathématiques, – ni pure ni appliquée –, mais il applique la mathématique de manière restreinte à des phénomènes qui en réalité ne sont pas des phénomènes mathématiques. Par conséquence, seul le mathématicien fait réellement de la mathématique appliquée au moment où il applique la mathématique avec toute sa puissance… aux phénomènes proprement mathématiques ! En suivant cette ligne d’argumentation, la conclusion d’Hardy est : "Tout cela peut sembler évident, néanmoins reste assez confus puisque les contenus le plus ‘utiles’ semblent parfois être les plus ‘inutiles’ dans l’apprentissage (…) En ce qui me concerne, je n’ai jamais rencontré une situation où mes connaissances scientifiques, sauf celles en mathématique pure, m’ont servi à quelque chose" (les italiques sont de nous). Finalement, la plus grande utilité n’est pas celle qui découle des applications de la mathématique dans ses usages restreints, mais celle que le mathématicien Hardy a trouvé dans la mathématique pure, celle qui permet l’application pour les propres phénomènes mathématiques. Je dois avouer que l’argumentation me semble impeccable et qu’elle peut nous apporter quelque chose à notre débat.

En ce qui nous concerne, ne conviendrait-il pas aussi de distinguer la psychanalyse appliquée des applications de la psychanalyse, des usages plus ou moins restreints que nous faisons de la psychanalyse dans ses diverses potentialités ? Par exemple, – et j’arrive ainsi à l’un des points clés de notre débat –, l’application que nous faisons de la psychanalyse dans les Cpct est un usage restreint et mesuré de la psychanalyse dans les "consultations" et les "traitements" spécifiques. Il s’agit d’une application avec laquelle nous produisons, par surcroît, des effets thérapeutiques. Il est convenable de ne pas oublier que la thérapeutique est ici un effet collatéral, – un "dommage collatéral" risquerais-je de dire, et non pas le champ spécifique de l’application. Le plus "utile" du point de vue de la demande sociale n’est pas, ne devrait pas l’être en réalité, le plus intéressant et utile dans la perspective propre à la psychanalyse. Le plus utile pour la psychanalyse est ce qui semble être le plus inutile pour la demande sociale dans les "consultations et traitements", le plus utile pour nous est constitué par ce que nous pouvons appliquer à la psychanalyse de tout cela. Serait-il exagéré de dire que le psychanalyste ne fait de la psychanalyse appliquée que quand il applique la psychanalyse à des phénomènes proprement analytiques ? Il me semble qu’il s’agit d’une perspective intéressante et c’est peut-être le mieux que nous devrions attendre d’un analyste dans l’Ecole. C’est ainsi que je tire un bénéfice de cette modalité "mathématique" d’argumentation. Elle rend plus présente une question qui ne devrait jamais être évidente dans une école, qu’est-ce qu’un psychanalyste ? Ou bien, selon l’expression de Lacan, ce que la psychanalyse nous enseigne, comment l’enseigner ?

Nous y sommes. C’est par ce biais que ce que nous appelons la psychanalyse pure, comprise comme une expérience et non pas comme une thérapeutique, trouve aujourd’hui sa raison d’être. Mais ceci peut déjà être motif pour une autre contribution au débat.

Traduit de l’espagnol par Carolina Koretzky

LUC GARCIA : Psychanalyse pure, psychanalyse appliquée

Il me semble parfois que la salle d'attente d'un psychanalyste, je veux dire par là qui pratique en ville, en privé, en libéral, comme on voudra dire, ressemble à une institution. Les patients partagent quelques fois à plusieurs, à deux ou quatre ou plus, le café après leurs séances, celle-ci a besoin de parler à telle autre, celle-ci rencontre celui-là dans le train, celle-là se fait discrète parce qu'elle trouve que ces gens parlent vraiment pour ne rien dire, sinon à effacer le tranchant d'une séance afin d'en dissoudre la portée et le vécu, et qu'elle est au travail de ses séances, de l'intime de ce qui cloche et que ça ne se partage pas, celui-là n'est pas bavard mais pour d'autres raisons, on ne les sait pas, mais on s'en rend compte, c'est comme ça, etc. Dans le quartier d'un psychanalyste, quelques boutiques apprennent à connaître les rendez-vous des patients... la boulangerie prise d'assaut, le magasin de vêtement à l'angle de la rue. En somme, c'est une "institution spontanée" – je reprends là un terme employé dans un autre cadre, par Jean-Robert Rabanel, le responsable thérapeutique du Centre Thérapeutique et de Recherche de Nonette. La salle d'attente du psychanalyste est ce lieu singulier où se côtoient les lecteurs du Figaro ou les lecteurs de Courrier International, les pauvres, les riches, les paumés de la vie, les sûrs d'eux ou ceux, qui, déjà, trouvent un moment d'apaisement pour quelques fois même appeler quelqu'un avec le téléphone portable, quelqu'un qu'ils ne pourraient appeler ailleurs. On pleure, on se cache pour pleurer, on déchante, ou on est enchanté, on arrive perdu, on ressort ragaillardi par le transfert ou on claque la porte jusqu'à la prochaine séance. Salle d'attente, certes, le lien est celui-là : le transfert.

De pure ou d'appliquée, je ne pourrais faire la distinction, comme ça, dans la définition, malhabile d'interroger le signifiant pour le faire causer. ça en passe à un moment donné par l'expérience, par le vivant corporel de l'expérience, et de ce qui s'y raccroche, à savoir ce qui s'ignore de toujours insister et que l'on nomme inconscient, qui se déforme, se réforme, mais ne négocie pas. Il m'a toujours semblé qu'une dimension de la psychanalyse était toujours à l'œuvre, quel que soit le lieu, quelle que soit l'heure, quelles que soient les circonstances, celle simplement, déjà, du transfert – ce point de confiance comme une ancre. Du tranchant quelques fois d'une séance de trois minutes. Par le transfert, il n'y a pas non plus de négociation possible.

Si l'on appelle "appliquée" la psychanalyse qui se servirait des outils freudiens "ailleurs", "dehors" – le transfert, l'inconscient – pour ne dire que ceux-là, qui me paraissent centraux, si en plus la psychanalyse "appliquée" serait cette merveille que l'on attendait plus, et qui ferait nécessité par force d'évidence à constater que la psychanalyse s'adosse d'un discours analytique, et que l'on se surprend à constater qu'il se diffuse comme un discours, si franchement il faut que la psychanalyse soit "appliquée" pour trouver de l'émerveillement à la pratique, alors, en retour, à l'inverse, je me demande vraiment ce qui a bien pu conduire à l'ignorer tout le temps où l'on ne parlait pas de la psychanalyse "appliquée". C'est alors que la "psychanalyse pure", par contraste, vit dans l'ignorance de ses propres usages. Et là, franchement, c'est bizarre, pour le moins.

A priori, que l'on ignore en quoi la psychanalyse opère, ça me trouble. Que l'on s'étonne que ça opère en raison du fait (et c'est bien la conjonction qui est troublante) que l'on ouvre des officines pour ça, c'est encore plus troublant. Encore plus troublant sur la clarté et sur l'orientation qu'engage une pratique de la psychanalyse, sur l'éthique qui fonde l'acte du psychanalyste. Nous le savons bien pourtant, la psychanalyse et le refus de la vérité par laquelle le psychanalyste opère ne font pas bon ménage. Ou alors, ça fait le ménage, dans le style, on met la poussière sous la moquette.

La psychanalyse engage une tragédie, une mise, un désir, un mouvement par lequel, après, ce n'est pas comme avant. Donc, un rapport à l'acte. En 16 séances, on est stupéfait qu'il y ait un avant d'un après. Mais diable, comment donc on l'avait oublié, sinon de n'avoir pas fait l'expérience qu'un mot, déjà, une interprétation, une séance, un instant, aussi minime qu'il soit devant le chronomètre, peut changer une vie ? Quelle cure, ou quel oubli de la cure, c'est selon et c'est à distinguer, a marqué ceux que l'on dit "chevronnés" pour avoir besoin d'ouvrir des structures immenses, parfois, petites, d'autres fois, afin de retrouver le goût de la subversion analytique quant au discours ? Comment l'ont-ils oublié cette subversion qui sauve la vie, qui donne de l'air, qui soutient, qui offre une place ? Ou alors, que voulons-nous oublier au passage ? Il y a là une énigme, celle du refoulé. Si appliqué s'entend comme le passage, enfin !, d'assumer, il était temps !, ce qui engage un acte, alors là, ce qui se pose, ce n'est plus simplement la question du pur ou du pas pur, ou la nécessité immédiate d'aller pêcher des chèques, mais déjà, en premier, la fidélité à laquelle on se tient d'une rencontre et de l'engagement qu'on lui porte. Fallait-il vraiment aller dans un "mini-se-taire" pour tâter du muscle du discours analytique ? Quel dommage... Quel dommage, surtout, pour les psychanalystes, et à la suite, pour chacun de nous, qui est psychanalyste ou ne l'est pas, en profession s'entend !

En résulte ce côté, branchement sur l'Autre pour assumer son acte. Ce côté "conséquent" connu de la bouche de celui qui gère, fut-ce un ministère ou un établissement de psychanalyse appliquée – je reprends là l'excellent mot de Jacques-Alain Miller, l'établissement de psychanalyse appliquée, comme on dirait un restaurant de province où l'on cuisine délicatement une mousseline insipide mais où le serveur "entoure-loupe" de son côté mielleux pour vous faire le portrait et vous interpréter, "Ah, Monsieur aime la mousseline, Monsieur a du goût, Monsieur est comme ci, comme ça, j'apprends à connaître Monsieur...", alors que l'on sait bien, précisément, que l'acte opère d'une inconséquence, et que le lieu, l'objet a de la psychanalyse, c'est un divan, on peut le trouver comme cause, comme cause horrible, comme cause pas facile, comme cause terrible, géniale, fabuleuse, pas idéale, etc. Mais mince quoi, ne l'oublions pas, et ne cherchons pas des bonnes âmes admiratives par l'administrative engeance pour nous le rappeler. Hop, retour sur le divan si nécessaire.

JOËLLE JOFFE : CPCT et ECF

Quand Moïse, absent "trop longtemps", est redescendu du Mont Sinai avec les tables de la Loi, le Peuple avait réclamé un Dieu, donné à Aaron les "pendants d'oreille en or" de ses femmes, fils et filles et adorait le veau de métal fait de la substance brûlée. Lors des Journées de l’Ecole, JAM a replacé la psychanalyse et la formation de l'analyste (analyse personnelle, contrôle, passe) via le transfert au centre de l'Ecole.

Sollicitée par son directeur peu après les débuts du CPCT, c’est très volontiers que j'ai accepté d’offrir mon temps et mon expérience de praticien et j’y ai travaillé deux ans selon l’engagement que j’avais pris.

Le travail clinique y était sérieux et pouvait apporter satisfaction et enseignement et j'en remercie les collègues. Cependant pour le membre récent de l'ECF que j'étais (passe à l'entrée), l'expérience a eu une valeur d'étrangeté :

- les hésitations logiques de l'installation d'une pratique clinique nouvelle m'ont en effet amenée à entendre à un rythme rapide la pertinence affirmée de règles différentes dans des énoncés successifs de "vérité", davantage que le Réel impossible (s’inscrire sous le discours du Maître en le refusant, ou… le nombre croissant de "patients"). "Il est de la caractéristique du faux de rendre tout vrai" lit-on dans la logique du fantasme.

- un transfert "minimal" était nécessaire pour qu'un sujet revienne mais la fin programmée devait aussi en protéger.

- l'amélioration du symptôme sans toucher au fantasme était la visée, effet thérapeutique oblige.

- la question de la gratuité un moment évoquée a été mise de côté. Donc non pas une clinique sous transfert, mais une clinique under control.

Un "traitement de psychanalyse" sans transfert, sans fantasme, sans circulation d'argent, tout orienté vers le symptôme qu'il s'agirait de rendre psychanalytique cependant et de supprimer, dans un temps déterminé à l'avance était prévu face à des sujets le plus souvent hors discours, très désarrimés ou au moins dans une "précarité symbolique" selon la jolie expression de Francisco-Hugo Freda.

Psychiatre praticien de secteur public d'origine, entrée à l'ECF pour faire partie d'une communauté de psychanalystes, la rencontre prenait des airs de malentendu.

Les discussions sur les recherches de subvention ont été envahissantes. La réussite des démarches du directeur du CPCT et de quelques collègues auprès de l'Autre du social et du politique fut un succès sur ce point mais on peut se demander si le coût financier n'était pas inférieur au coût de cette "pompe à libido" qu’évoquait JAM. Par ailleurs, il est vraisemblable que de jeunes collègues se sont un peu égarés dans la confusion d'une pratique clinique même contrôlée par des analystes de l'Ecole et la formation d'un analyste et j'ai pu entendre de tels propos.

Un nombre certain de collègues de l'Ecole et spécialement ceux qui avaient des responsabilités cliniques dans des institutions ont pu s'étonner d'un lieu d'école finalement peu éloigné de la pratique de leur lieu de travail orienté par la psychanalyse lacanienne à la différence notable qu'ils n'auraient pas osé affirmer y faire de la psychanalyse ni former des analystes. Des praticiens cliniciens éclairés, psychologues ou psychiatres y trouvent une place.

L'enthousiasme était tel dans les instances du CPCT que ces voix souvent timides d'ailleurs ne pouvaient être entendues dans cette harmonie heureuse, malgré une inflation progressive de réunions. Dans ce rêve de "blend", une langue "maîtr/ane" naissait.

Le "psychanalyste du monde extérieur" doit se garder des deux excès opposés : vouloir le "bien" d’un sujet malgré lui comme nos gouvernants et vouloir que tout sujet devienne plus ou moins un analysant.

L'ECF est maintenant d'utilité publique, ce qui est souhaitable à notre époque.

Les CPCT ont une fonction de "fenêtre sur le monde" tant pour le Champ freudien que pour l'Autre de la demande sociale, au-delà des "services rendus".

La reprise des signifiants contemporains (enfants, adolescents, dépression, précarité...) pour créer des unités "dédiées" avec les subventions assorties et les effets de séduction obligée, risque de confronter l'ECF à une alternative impossible, renoncer ou plier le discours analytique au discours du Maître. La pratique de la responsabilité d'un secteur de psychiatrie publique toujours plein de "succès" si l'on se réfère à la quantité exponentielle des demandes, enseigne cela dès qu'on vise un projet "ciblé par l'Autre" en position de Maître. La psychanalyse appliquée à la thérapeutique ou plutôt la "psychothérapie orientée par la psychanalyse" (pas trop de suggestion et de subjectivité du thérapeute ! effet de soulagement du sujet, solution élégante, suppléance) peut trouver sa place et c'est d'ailleurs le cas, dans les lieux "d'écoute et de soins" où travaillent beaucoup de collègues de l'Ecole. Je lis aussi la modestie des collègues qui ont créé récemment de nouveaux lieux sous l’impulsion actuelle.

L'ECF, pour garder sa singularité, doit rester vigilante à ne pas être conquise par le succès qualitatif et chiffré de ses consultants. Une "vitrine" est importante pas un show room. Notre Ecole de psychanalyse attire les collègues orientés par l'enseignement de Lacan prolongé par celui de JAM et de quelques autres avec la grâce du transfert. L’avenir d’une illusion avec le Père était problématique ; sans le Père il est peu envisageable que la psychanalyse soit quelque jour un succès grand public ; certains en tirent fierté, d’autres s’y résignent. Le Réel c’est l’impossible disons-nous. La quantité de libido et de temps de chacun est limitée; n'est-il pas souhaitable que celle des analystes de l'Ecole soit orientée vers la pratique, l'enseignement, la recherche de la psychanalyse pure et qu'une activité "sociale" de psychanalyse appliquée dépendant de l'ECF reste certes présente dans le monde contemporain mais marginale.

L'embrouille subjective des sujets au un par un et les moments de passe énoncés ne relèvent-ils pas davantage du travail d'une école de psychanalyse que l'écoute à court terme de l'innombrable qui souffre ?

PUBLIÉ 74 RUE D’ASSAS À PARIS 6è PAR JAM